Critique de 1960: The Making of the President

1960: The Making of the President est indubitablement le petit frère de Twilight Struggle et, plus généralement, il est un héritier des jeux comme We: The People et Hannibal, qui furent parmi les premiers jeux basés sur le système dit « card-driven » (à ce jour, nous ne connaissons pas de traduction qui fasse l’unanimité parmi les augustes autorité du milieu ludique francophone). Ce jeu retrace la campagne présidentielle aux Etats-Unis qui vit s’opposer le républicain Nixon au démocrate Kennedy et qui vit la victoire de… ben vous verrez bien. Les joueurs endossent le costume des prétendants au titre d’homme le plus puissant de la terre (qu’on dit) et s’affrontent sur un plateau figurant la carte des Etats-Unis (ainsi que deux tasses de café) à l’aide de cartes qui peuvent être utilisées de moult façons différentes : tout le sel de ce genre de jeux est là.

Matériel

Les habitués de Twilight Struggle qui grinchaient contre son matériel retrouveront ici un matériel dont le standard est plus ce à quoi nous sommes habitués avec les jeux de plateau : un plateau rigide, des cubes de bois, des marqueurs en carton épais. Les cartes sont agrémentées de photographies d’époque ainsi que d’un petit texte permettant de se plonger dans le thème.

Le plateau, sans être étincelant (avec Mike Doyle, on commence à faire les difficiles), est sobre et fonctionnel, tout en étant agrémenté de petits détails pittoresques comme des trombones, des crayons, des feuilles gribouillées, des marques de café renversé et, bien entendu, des tasses de café pleines qui ont en plus une fonction dans le jeu. On pourra reprocher au plateau de ne pas se déplier convenablement. Bref, un matériel on ne peut plus agréable à manipuler et qui permet en outre de réviser la géographie des états américains.

Règles

Le jeu se décompose en neuf tours, deux étant spéciaux – le 5ème et le 9ème qui correspondent respectivement au débat télévisé et au jour des élections proprement dit. Les autres sont principalement subdivisés en cinq phases au cours desquelles chaque joueur va à tour de rôle jouer une carte de sa main de plusieurs façons différentes : pour faire prendre position à son candidat sur une des trois grandes problématiques du moment (défense, économie et droits civils) ; pour essayer de prendre le contrôle des médias (ça ne date pas d’hier, non) ; pour faire campagne et soudoyer, pardon, convaincre les électeurs ; pour déclencher des événements historiques qui se traduisent pour beaucoup par l’acquisition de soutien dans des états ou qui entravent les actions de l’adversaire (on apprend que Nixon souffrait du genou).

Sachant que :

- les événements sur les cartes sont plus ou moins puissants,

- qu’ils peuvent concerner l’un ou l’autre des candidats

- ou bien aussi les deux

- que vous pouvez recevoir dans votre main des cartes concernant votre adversaire

- que celui-ci a les moyens de déclencher alors ses événements en utilisant des momentums que l’on gagne grâce aux positionnement sur les problématiques,

- et qu’enfin la puissance des actions que l’on peut faire autre que les événements change d’une carte sur l’autre (les Points de Campagne, CP)...

vous aurez vite compris que les choix sont cornéliens, sur la façon dont on va jouer les cartes, sur l’ordre dans lequel on va les abattre, sur celles que l’on garde en réserve et enfin celles que l’on devra mettre de côté en fin de tour pour préparer ses arguments pour le débat ou enfin pour lancer d’ultimes assauts le jour même des élections.

Car à ce jeu, sauf exception, toutes les cartes que l’on a en main devront être utilisées, d’une façon ou d’une autre. Il faut donc être attentif aux actions menées par son adversaire, savoir réagir comme il faut, le provoquer sur d’autres secteurs, détourner son attention, bref, faire de la politique (en posant des cubes, au final). Les règles héritent donc de tous les card-driven tout en apportant de petites subtilités intéressantes.

Au niveau de la clarté des règles, existe une très grosse ambiguïté sur la façon dont on pose des cubes sur les issues : un endroit parle de test de support, la partie dédiée à cela n’y fait pas référence… Il semble bien que c’est cette dernière qui a raison.

Durée de vie

Le renouvellement des parties va venir de l’ordre dans lequel les cartes vont apparaître. La pioche couvre à peu près les besoins en carte pour tout le jeu, donc normalement, toutes les cartes ou presque apparaissent, et dans certains situations, il faudra même remélanger la défausse.

L’ordre dans lequel les cartes viennent va fortement conditionner les actions des joueurs et la face de la partie. Cela dit, la structure du jeu impose de grandes lignes : les cinq premiers tours permettent aux candidats de se positionner sur les régions tout en préparant le débat.

Les deux derniers tours permettront de se lancer dans la dernière ligne droite, le vaincu du débat devant panser ses plaies, les deux candidats devant s’attacher à renforcer leurs positions importantes tout en attaquant celles de leur adversaire. Mais la profusion des évènements puissants va faire que les positions les mieux tenues pourront très rapidement être balayées.

Le conseil de Jedisjeux

1960 est sans doute un jeu idéal, conseillé pour les personnes qui sont curieuses de se mettre aux « card-driven games » sans avoir suffisamment de temps à investir pour se consacrer aux mastodontes du genre.

Néanmoins, ce genre de jeu peut frustrer les adversaires du hasard, car les cartes et l’ordre dans lequel elles apparaissent jouent un rôle prépondérant.

Ce jeu en particulier peut sembler chaotique et assez dur à contrôler.

Avis de la rédaction

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Oui, si vous connaissez mal le Card Driven, 1960 the making of the president sera une bonne occasion d'essayer cette mécanique de jeu. De plus, avec 1960, qualité et intensité ludiques sont au rendez-vous ! Tout d'abord, le thème : il est omniprésent. Il n'est en effet pas difficile de replonger dans l'atmosphère politique de l'époque, avec ces grands enjeux. Question matériel, le plateau (un très bon moyen de réviser les différents Etats américains) et surtout les cartes aident beaucoup à se sentir dans la peau de l'un des conseillers de Nixon ou de Kennedy. Différents événements qui ont rythmé la campagne surgissent à des moments différents... ou bien n'arrivent jamais, si bien qu'une partie ne ressemble jamais à une autre. Les parties sont intenses, car votre attention ne doit pas se relâcher. Il faut surveiller les cartes adverses jouées et ses choix d'action : campagne, événement, main mise sur certains médias, sur les programmes politiques, les "Endorsements" qu'il accumule sur certaines régions, le nombre de cube de soutien qu'il empile sur certains Etats... tout en prévoyant évidemment ce que vous même vous allez jouer, CP ou événement, et dans quel ordre... ouf ! Oui, il faut avoir les yeux partout, et c'est pourquoi une partie de 1960 est un moment intense, un bras de fer terrible (comme l'a été le duel Nixon-Kennedy) qui peut durer deux heures sans que vous ne vous en rendiez compte". Je n'ai pas une grande expérience des card driven, mais le reproche fait à 1960 sur son aspect "chaotique" me semble bien exagéré (notez que je dis bien "exagéré"...je ne dis donc pas que qu'il n'y a pas de chaos, mais qu'il n'y en a pas tant que cela et que l'on peut contrôler bien des choses), et de toute façon, cela me paraît inhérent au système card driven. Avec l'expérience, on peut réellement mener une campagne digne de ce nom. Seul le système du débat est peut-être légèrement décevant, même si il reste un moment de suspense interessant....avec un total de 9 supports en jeu quand même ! Faut pas se louper quoi.... Un duel acharné pour devenir président des USA, voilà votre challenge dans ce jeu qui deviendra je pense une référence dans le card driven et le jeu à deux.
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C’est sans doute une note un peu sévère pour pareil jeu qui est indéniablement bon, mais il faut bien sortir son petit sabre de temps en temps. Le jeu par son système est susceptible de générer de grands chamboulements dont les causes sont infimes (c’est un peu l’effet papillon, si vous voulez). Comme on détermine le vainqueur en comptant les voix que confèrent les états gagnés, perdre un état peut avoir de grosses conséquences sur le score (le différentiel de voix est le double des voix de l’état). De plus, comme on ne peut pas être partout et qu’on ne sait pas ce que mijote l’adversaire (on a très peu de moyens d’anticiper les actions adverses, même en connaissant les cartes en jeu), il se peut qu’il ait prévu de porter son estocade finale là où justement vous n’avez pas pu vous défendre (pas parce qu’il est supérieurement intelligent, mais parce qu’il a eu les bonnes cartes au bon moment, parce que ça c’est tout bêtement trouvé comme ça et aussi parce que de toutes façons on ne peut pas tout défendre). Le dernier tour peut donc réserver bien des surprises, même si le mécanisme du sac (qui rappelle la tour de Shogun dans le principe et aussi le sac de Das Ende des Triumvirat) a un effet mémoire qui est censé atténuer le facteur chance (quoiqu’il y aurait des choses à dire dessus) : la surprise dans une partie équilibrée peut venir des petits états peu « défendus » et qui sont donc susceptibles de retourner leur chemise au dernier moment. Ainsi donc, même si les mécanismes de ce jeu sont éprouvés (longue histoire des card-driven) et bien adaptés au thème (les card-driven étant jusque là essentiellement confinés au genre guerrier ; mais la politique, c’est un peu de la guerre, quelque part) il peuvent dans une partie équilibrée générer un chaos qui choisira le vainqueur, voire provoquer une déroute qu’on n’aurait pas attendue. Autant en être conscient. Outre cet aspect chaotique, les mécanismes peuvent aussi provoquer une sorte de Verdun sur l’un ou l’autre des aspects : selon les joueurs et les parties, on va se battre comme des chiffonniers pour New-York, voire pour des états moins importants, ou sur les « issues », ou sur le contrôle des médias. On pourrait penser qu’il est alors plus raisonnable d’en profiter pour se consacrer à un autre secteur du jeu, mais ce n’est pas aussi simple, car c’est aussi permettre à l’autre d’en faire autant tout en lui laissant à bon compte un de ces aspects importants. La puissance des médias, et c’est un avis personnel peut-être lié à un manque de pratique, semble faible : certes elle permet d’arranger l’ordre des « issues » et de faire facilement campagne dans les états bien tenus par l’adversaire, mais il y a d’autres moyen d’affaiblir facilement des états bien défendus (la pléthore d’événements). Quant aux issues, changer l’ordre peut ne pas avoir un impact énorme (ou imprévisible selon les événements qui arrivent au tour prochain). Une région où l’on contrôle les médias et où les états principaux sont eux-mêmes bien contrôlés sera certes plus dure à reprendre pour l’adversaire, mais cela n’a rien d’imparable tant la puissance de beaucoup d’événements est grande par rapport à l’effet de l’action faire campagne. L’ordre dans lequel apparaissent les cartes et aussi le joueur chez qui elles tombent a une importance à mon goût trop grande (à Twilight Struggle, la division du paquet en trois circonscrit en partie ce genre de risques). Il vaut mieux avoir les événements les plus puissants en fin de partie, où leurs effet seront dévastateurs (en effet, les positions évoluent très vite, et rien n’est acquis jusqu’à la fin) qu’au début où leurs effets pourront être peu à peu contrés. Que dire des cartes « Gathering Momentum » qui selon le moment où elles apparaissent vont offrir sur un plateau le contrôle (certes très temporaire) d’une région entière ou avoir l’effet de la mort de Julio Iglesias sur la politique extérieure de la Corée du Nord comme dirait quelqu’un dont au sujet duquel vous savez forcément de qui je cause. Bref, c’est tout un tas de petits détails qui me laissent perplexes et que je développerai sans doute si mes neurones le veulent bien. Peut-être d’autres parties me prouveront-elles que mes craintes sont infondées, mais sur les cinq que j’ai faites, ces impressions ont été tenaces et n’ont fait que s’accroître. Mais encore une fois le jeu est bon, et si vous ne connaissez pas encore les card-driven, c’est une bonne occasion de s’y mettre, car le jeu est rapide notamment. Ah oui, une dernière chose : le thème. Bon, malgré le texte d’agrément sur les cartes et les photographies d’époque, à peu près toutes les actions que l’on peut faire consistent à poser ou enlever des cubes. Où sont les grandes campagnes d’Hannibal ? Où sont les buccins et les fifres ? Où est le souffle épique ? Poser des cubes… On se croirait pour un peu dans un jeu allemand.
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Un bon jeu qui a pour lui d'être un card driven aux durées courtes et traduit en français. Pour le reste, on finira par se lasser peut être du manque de contrôle sur le jeu, qui n'a rien de fun et qui donc l'handicape un peu.
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