Critique de Caligula

Je sais…certains parmi vous se disent déjà "Chouette ! Il va nous parler de Caligula, le sulfureux film de Tinto Brass sorti en 1979"…et bien non petits dévergondés ! Vous croyez que c'est le lieu pour parler d'un film pareil ? D'autres s'attendent peut-être à lire un récit sur le règne de l'empereur Caligula (37-41), successeur de Tibère…et ben raté aussi, je suis pas votre prof d'Histoire.

Non, je vais me contenter de vous parler du jeu de monsieur Pierluca Zizzi, édité par Elfinwerks en 2009, un jeu qui porte sur les conjurations et les assasi…heu, je voulais dire les fins de règnes, "accidentellement" écourtés, de divers empereurs romains : mauvaise chute dans les escaliers, indigestion mortelle après avoir bu un simple verre de vin, malencontreuse roulade arrière sur la pointe d'une dague oubliée par terre, très profonde coupure suite à une maladresse avec un glaive rouillé, etc...En réalité, et vous l'aurez compris, on est pas là pour rigoler, mais bien pour accélérer le processus de succession à la tête de l'empire.

Matériel

Bon, soyons un peu sérieux. Alors, le matériel…

Il y a surtout…des cartes. Non, pas de plateau, vous savez, ces machins qui encombrent tant de jeux aujourd'hui. Il y a aussi des pions cartonnés : certains, présents en 5 couleurs et numéroté de -1 à 6, servent à sélectionner des actions (jetons "SPQR") tout en effectuant des enchères cachées (enfin, pas que ça, vous verrez plus loin) ; d'autres servent à comptabiliser les précieux points victoire ; Enfin, vous trouverez quelques pions sur lesquels figure une tête couronnée de lauriers, et qui vous permettront d'afficher vos préférences pour un candidat à la succession de l'empereur en place, ou bien au contraire d'affirmer votre fidélité à ce dernier, plus un jeton "Primus inter pares" et un "Sequentia".

Donc, surtout des cartes…110 au total. Certaines servent à proposer des actions aux joueurs, d'autres à indiquer les séquences de jeux. Vous avez également des cartes ("Pugio" et "Coniura") pour comploter et zigouiller. Enfin, il y a les cartes "ordo" pour l'ordre de tour et les cartes empereurs sur lesquelles apparaissent d'illustres visages impériaux (Caligula, Claude, Néron, Geta…bref, les futures victimes si vous préférez).

Seulement, voilà…: les jetons d'ordre sont un peu trop petits pour mes gros doigts (et pas que les miens d‘ailleurs, même pour des plus fins), et les cartes, heu... leurs illustrations me laissent dans la même matière que les bustes des empereurs défunts... de marbre quoi. Attention, je ne dis pas que les cartes sont moches, mais disons qu'elles sont surtout « fonctionnelles ». Mise à part les cartes empereurs (qui ont un aspect « visage-reconstitué-sur-ordinateur d‘après les bustes déjà mentionnés » ), les autres cartes auraient mérité un peu plus d'illustrations.

C'est bien dommage car cela donne au jeu un aspect franchement tristounet. Le dessin sur la boîte n'est pas transcendant non plus, et il fait même carrément vieillot. Vous me direz "Oui, mais c'est normal, Rome, ça date pas d'hier", et je vous répondrais "D'accord, mais regardez les illustrations de jeux plus ou moins récents qui portent sur la même période : celles de Caligula font un peu pauvres quand même". Pour un jeu où l'abondance de matériel n'est pas la principale caractéristique, le design est vraiment décevant... mais Elfinwerks étant, sauf erreur de ma part, un petit éditeur qui débute, il lui sera évidemment beaucoup pardonné.

Règles

Caligula n'est pas un jeu léger et il s'adresse vraiment aux « gamers ». Le livret ne fait que 7 pages, mais elles sont bien remplies de règles denses et parfois complexes, comme celles qui gouvernent les conjurations (élément central du jeu) et les conséquences qu'elles impliquent : il vous faudra d'ailleurs fournir un certain effort d'assimilation avant de bien maitriser cette phase. Prévoyez donc plusieurs lectures de règles, et pas une à la va-vite juste avant de commencer la partie.

Alors comment ça marche ? Comment doit on s'y prendre pour occire un empereur romain ?

Au début du jeu, on dispose 10 cartes (appelées « Civitas ») sur la table : elles servent en quelque sorte de plateau, et sont issues de 5 paquets différents (triés par catégorie : Tribuni, Plebs, Praetoriani, Legionarii, Nobiles). Ces cartes proposent diverses actions de jeu. L'empereur actuel est posé en-dessous, avec à sa gauche et à sa droite deux successeurs possibles (et qui frétillent d‘impatience, faut bien le dire). Enfin, il y a les cartes dites "Sequentia", qui peuvent changer de place en cours de parties, et qui donnent le "La" pour la résolution des actions, une fois que les joueurs ont posé tous leurs jetons d'influence.

Au début d'un tour, les joueurs placent (face cachée) leurs jetons SPQR disponibles (le 5 et le 6 ne peuvent l'être que grâce à certaines cartes) sur les cartes visibles (et sur les emplacements gris prévus à cet effet), en sachant que les cartes situées au premier rang sont activées ensuite en priorité, les cartes du second rang ne pourront l'être qu'en passant au premier rang (mais vous pouvez jouer préventivement dessus évidemment). Ensuite, on passe en revue une à une les cartes Sequentia qui fixe l'ordre de résolution des actions. Ces dernières seront possibles selon ce que dit la carte sur laquelle vous avez posé (face cachée) un jeton SPQR : pour certaines cartes, seul le joueur ayant mis le jeton à la valeur la plus haute fera l'action, pour d'autres, il suffit d'être présent…enfin, certaines exigent une valeur minimale pour pouvoir jouer l'action.

Tout le problème, c'est que les places sur les cartes sont limitées : l'ordre de tour peut donc être assez important, mais il change régulièrement. Entre chaque carte Sequentia, une tentative de conjuration est possible (et il y en aura qu'une d'autorisée à chaque tour). Il serait fastidieux de vous expliquer tout le processus, mais disons que chaque joueur à le choix de participer ou non à la conjuration (à l'aide des cartes coniura et pugio), d'en prendre le tête même, ou bien carrément de défendre l'empereur en place. Des points victoire seront ensuite gagnés en fonction de la réussite ou de l'échec de la conjuration, immédiatement mais aussi en fin de tour. Si à un moment donné de la partie, il reste moins de 10 cartes civitas sur la table (en fait, au moment où on ne peut plus remplacer une carte jouée), la manche s'achève par la chute de l'empire, ce qui annonce la fin de la partie. On fait automatiquement une dernière conjuration...et on regarde alors qui à le plus de points.

En résumé, les règles sont parfois ardues, mais elles ont néanmoins l'avantage de ne pas l'être en vain ; En effet le jeu présente plus d'un intérêt.

Durée de vie

Oui, Caligula est un jeu intéressant, et en y regardant de près, le thème est d'une certaine manière très présent.

Concernant les aspects positifs du jeu, on peut être certain qu'une partie ne ressemblera jamais à une autre. D'abord, l'ordre des cartes sequentia au moment de commencer à une forte probabilité d'être différent d'une partie précédente et il peut même évoluer en cours de jeu ; De plus, l'apparition aléatoire des cartes civitas assure le renouvellement des parties, comme si vous aviez une piste d'actions qui change régulièrement les options qu'elle propose. Les joueurs doivent faire face en permanence à des problématiques nouvelles, ce qui est souvent le cas des jeux où l'opportunisme est le maître-mot. Sur ce point, la durée de vie est garantie.

Ensuite, l'interaction y est forte. Un joueur, en obtenant le droit d'activer certaines cartes, peut par exemple inverser l'ordre de résolution de deux cartes, voire carrément en supprimer une ; Et si vous aviez un jeton dessus, et bien il revient dans votre main sans avoir pu vous servir. Interaction forte aussi grâce aux différentes opportunités de griller la politesse à certains de vos adversaires en posant un de vos jetons SPQR sur la dernière place disponible d'une carte. Croyez-moi, ça fait toujours plaisir...

Enfin, il y a de grands moment d‘affrontement directs (et de suspense) quand se forme une conjuration : "Dois-je y participer ? Suis-je assez costaud pour en prendre la direction ou dois-je simplement suivre ? Ou bien au contraire, ne serait-il pas plus judicieux de défendre l'Empereur ?"...Vous pouvez aussi ne rien faire du tout (malgré certaines promesses) et regarder vos adversaires dépenser leurs cartes ! Oui, un autre point positif notable (enfin, selon nous en tout cas), ce sont les possibilités de fourberies entre les joueurs, ce qui colle parfaitement avec le thème.

D'ailleurs en parlant de thème, on réalise par exemple que les cartes "Nobiles" permettent souvent d'obtenir des cartes coniura ou pugio (les complots venaient essentiellement de la noblesse, dans l‘entourage même de l‘empereur), que les cartes "Legionnarii" permettent souvent de retirer des cartes "plebs" et "tribuni" (normal la encore, on s'appuyait sur l'armée pour préserver le pouvoir en place, ou bien au contraire pour le renverser), ou encore les cartes "Pleb" peuvent faire perdre des points-victoire et récupérer des jetons SPQR (ne pas négliger le peuple qui peut vous donner encore plus d'influence)...vous chercherez vous-même pour les cartes Praetoriani et tribun...vous verrez, thématiquement, ça tient la route.

En revanche, on peut faire un gros reproche à Caligula, et c'est plus ou moins important selon les goûts : je veux parler du chaos.

Oui, car le déroulement d'une manche est parfois assez chaotique.

Vous êtes la plupart du temps assuré de rien lorsqu'arrive le moment de révéler les jetons SPQR, même si vous pensiez avoir programmer au poil près vos actions. Certes, vous pouvez être battu sur une enchère, mais ce qui est vraiment embêtant, c'est lorsque la séquence de résolution est modifiée, où lorsqu'un joueur, après une longue hésitation fait disparaitre une carte sur laquelle vous comptiez beaucoup et où les jetons SPQR n'étaient même pas retournés. Les séquences d'un tour peuvent tellement changer qu'il est bien difficile finalement de prévoir réellement quelque chose, et seules des prières adressées à Apollon ou Jupiter pourront peut-être vous aider.

On peut penser que finalement, cette imprévisibilité colle bien à la situation politique que nous sommes censés vivre, mais ludiquement parlant, cela casse un peu les réflexions. A ce sujet, faites attention également à ce que ces dernières (je parle des réflexions là...suivez un peu ! Déjà fatigué ?) ne s'éternisent pas, car il y a aussi des risques de "d'analysis paralysis" comme on dit dans le milieu ludique branché.

Bref, dans Caligula, vous avez de l'interaction, du thème, des coups tordus... mais un certain chaos qui risque de gêner quelques joueurs.

Voilà ! C'est fait ! Et maintenant, pour vous détendre un peu de toutes ces histoires épouvantables de trahisons, de règles pas simples, d'odieux complots, de chaos et de meurtres, je vous invite à chanter :

"Tout, tout, tout, nous savons tout sur le jeu de Zizzi"…

Le conseil de Jedisjeux

Il me semble important de récupérer assez rapidement vos jetons SPQR de valeur 5 et 6, sinon certaines cartes vous resteront inaccessibles sans ces jetons, et naturellement, ils vous donneront plus de latitude dans le choix des actions que vous souhaitez effectuer. Mais attention, ce n'est pas tout le monde qui y parviendra.

Il y a une notion de timing importante dans ce jeu pour se lancer dans une conjuration réussie : Surveillez les mains de cartes de vos adversaires. Si certains ont pu faire une conjuration au tour précédent, ils doivent alors avoir moins de cartes que vous qui étiez resté discret. N'hésitez pas éventuellement à dépenser une carte pour défendre l'empereur, surtout si cela oblige le ou les conjurés à en dépenser encore plus.

Après un complot, n'oubliez pas que se reconstituer une main de cartes « compétitive » peut demander du temps...

Pensez à négocier ! Il peut être intéressant par exemple de convenir avec un joueur de poser chacun un jeton SPQR sur une carte précise afin d'empêcher un de vos adversaires d'y jouer. Même chose pour les conjurations : vous pouvez notamment négocier pour prendre la tête des conjurés, ou au contraire pour convaincre un joueur de défendre avec vous l'empereur. Cet aspect du jeu n'est pas assez souligné dans les divers commentaires lus ça et là.

Les points victoires ne sont pas faciles à obtenir : évitez autant de possible d'en perdre! Cela semble évident, mais j'ai vu des joueurs « oublier » de poser un jeton SPQR sur des cartes qui font perdre des points.

L'ordre de tour joue un rôle important : essayer de l'anticiper un peu, surtout par rapport à certaines cartes qui peuvent être "remplies" avant qu'arrive votre tour.

Avis de la rédaction

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Caligula est un jeu pour joueur, entendez par là qu'il est un brin exigeant dans l'assimilation de ses mécanismes, mais également qu'il n'est pas simple d'y jouer "correctement". Il demande un minimum de concentration, d'organisation...et un peu de savoir-faire en matière de bluff et de négociation. Cela peut surprendre, mais le thème est finalement très présent, grace aux mécanismes qui incitent les joueurs à se faire des petites fourberies, ces dernières faisant naître une véritable ambiance de complot autour de la table. Malheureusement, le déroulement du jeu peut s'avérer parfois fort chaotique, ce qui va faire grimacer plus d'un "calculateur"...et même des joueurs qui le sont moins. Enfin, Caligula a un aspect un peu trop austère et c'est bien dommage, car il faudra sans doute insister avant de lancer votre première partie.
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