Critique de Offrandes

Pour un premier jeu de la part de l'éditeur, Ludonaute, Offrandes a réussi à se faire remarquer. Illustré par un des plus fameux illustrateurs de l'hexagone, travaillé durant des années pour parfaire les mécanismes (voir la genèse du jeu), il était même à Cannes 2010 le jeu pour lequel il était le moins évident de trouver une place pour jouer.

Les échos étant bons, nous nous sommes penchés sur ce jeu, en priant que le Dieu du ludique nous offre de magnifiques parties. Que voulez-vous: plus on parle d'offrandes, et plus on en demande...

Matériel

C'est une boîte au format agréable qui nous est proposée ici. De taille similaire à celle de Brass ou d'un jeu de chez Warfrog Games, elle attaque notre subconscient sur de très bonnes bases.

Sans avoir à l'ouvrir pour nous donner les renseignements nécessaires quant à son contenu, la boîte réussit à ne pas être surchargée. La grosse différence avec les jeux de Martin Wallace évoqués plus haut est sans conteste la beauté des graphismes: l'illustration de couverture, les tons de coloris et le design utilisés, jusqu'à la police de caractères, sont des plus réussis et donnent envie d'aller de l'avant.

On ouvre donc respectueusement la boîte pour plonger les mains dans le sanctuaire dédié au matériel du jeu.

Et là, mon cochon, on ne se moque pas de nous!

Car au delà des pions aux couleurs des joueurs (en nombre plus que suffisants) et des pièces en carton (du plus bel effet) servant de monnaie, que l'on retrouve dans bien des jeux, 75 pions animaux viennent compléter cette orgie de matériel coloré.

Ainsi, poules, porcs, chèvres, moutons et bœufs nous sont offerts comme beaucoup aimeraient en trouver dans tant d'autres boîtes: ils ressemblent à l'animal qu'ils représentent, et ce jusqu'à leur couleur. Et le choix n'est pas qu'esthétique, car il permet d'entrer dans le thème du jeu. Les illustrations des 3 plateaux de jeux, aussi magnifiques que le reste des composants, terminent de nous conquérir: beauté et clarté des indications: c'est du propre (et tant mieux, vu que les animaux à porter en offrandes aux Dieux doivent être purifiés).

Et au delà du fait de renforcer la thématique du jeu, ces meeples en renforcent la visibilité: on voit mieux ce à quoi on a droit, la valeur de chaque bête et laquelle rapporte plus que l'autre (car il semble évident qu'offrir une vache aux Dieux est mieux que leur offrir une poule. Par contre, entre un cube marron et un vert, ça l'aurait moins fait).

Bref, ce choix éditorial est à saluer et ajoute une véritable plus-value au produit.

Vient ensuite un pion premier joueur, qui permet de ne pas perdre le fil de la phase d'enchères et de visualiser qui remporte les égalités lors de la phase de corruption.

Les 7 tuiles personnages qui achèvent de compléter l'arsenal sont elles aussi réussies: taille idéale et illustrations magnifiques, qui reprennent celles figurant sur les plateaux du jeu, permettant de suite de bien lire où chacun se trouve sur les échelles des personnages mis aux enchères et de se rendre compte de ce qui pourrait découler si untel ou untel venait à les recruter. Une fois encore, les rares symboles qui intègrent parfaitement le dessin sont très parlants, tout comme l'action qui accompagne le personnage: on pourrait penser qu'on discute déjà ici de la seconde partie de cette critique (à savoir: les règles du jeu) mais ce sont bien les illustrations, bien travaillées, qui permettent de par leur osmose avec la thématique, de bien appréhender le jeu.

Bref, au niveau du matériel, "Offrandes" a bel et bien un don.

Règles

La mécanique suit elle aussi tout autant la thématique et les personnages faisant vivre l'histoire... enfin, le jeu.

C'est d'ailleurs le point fort de ses règles, mais nous y reviendrons.

Car dans un premier temps, pour ne pas déroger au rituel, nous allons vous parler du livret de règles plus en détails.

Tenant en huit pages, ce dernier reste dans la tonalité graphique des autres composants du jeu. Riche d'exemples et d'illustrations (des mises en pratique accompagnent les règles tout du long, dans une belle colonne: bien vu pour un jeu mettant en scène des cités grecques), il est très bien découpé et permet une lecture facile et un apprentissage en douceur.

Seule la phase d'enchères peut demander une concentration plus importante, mais une fois le système assimilé, on n'a plus besoin de retourner lire un quelconque point litigieux (il ne devrait pas en avoir tout du long de la partie).

Les contraintes de la phase d'offrandes et les restrictions de la phase de corruption pourraient laisser présager une prise en main complexe mais ce n'est pas le cas car ces points particuliers sont totalement logiques thématiquement (qui oserait s'aventurer à faire une offrande de plus faible quantité ou qualité que les précédentes à un Dieu sans craindre son courroux ?). Ici, même l'athée n'a qu'à poser ses dons sur l'autel. Et s'il failli pour tous et ne peut pas, il ne lui restera plus qu'à pousser un cri strident et ne se laisser aller guère à la paresse pour élargir ses possibilités jusqu'au prochain tour.

Bref, tout tourne autour de ces fameuses offrandes (en même temps, c'est un peu le titre du jeu...) et durant la phase d'enchères vous tenterez de payer des personnages pour vous permettre de mieux honorer les divinités.

Le paysan permet de vous fournir des animaux plus importants (qui rapportent plus de points et qui sont plus difficiles à être délogés par les autres joueurs sur les autels) tandis que la porteuse d'eau et le porteur de fleurs purifient et ornent vos animaux. Plus vous ferez appel à leurs soins et plus nombreuses seront les bêtes que vous mènerez à l'autel... enfin, que le gardien du temple mènera à l'autel.

Et plus souvent vous lui aurez graissé la patte, plus il avancera dans le couloir (et bien entendu les Dieux majeurs sont au bout de ce dernier. De plus, si les autres joueurs ne paient pas régulièrement le bonhomme et n'avancent pas autant que vous, il ne pourront pas venir surenchérir sur vos offrandes).

La prêtresse priera les Dieux pour vous (faire appel à elle équivaut à de petits gains réguliers de PV) et le corrupteur corrompra les autres personnages pour vous, pendant que le garde tentera de l'en empêcher.

Concrètement, corrompre vous permet d'avancer d'un cran sur une échelle de personnage et de reculer un adversaire d'autant sur ce même rang, pour peu qu'il ait moins de gardes que vous de corrupteurs et qu'il n'ait pas eu droit à pareille mésaventure ce tour-ci. Sachant que le joueur étant le plus haut placé sur l'échelle de corruption corrompt en premier, on se rend compte que si cette action est intéressante, elle ne sera jouée que quelques fois (d'autant plus qu'on peut parfois dans un même tour corrompre le joueur qui vient de nous corrompre et ainsi remettre les aiguilles à l'heure).

Par exemple, une corruption de marchand vous fait avoir un animal meilleur au détriment d'un autre joueur: le mécanisme est une fois de plus en accord avec le thème.

Le jeu tourne bien et les tours finissent par s'enchainer rapidement, malgré une phase d'enchères riche et souvent tendue.

Ajouté à tout ce qui a été dit auparavant, vous pourriez vous imaginer au paradis ludique, mais ce n'est pas le cas. Car si le jeu tourne, il tourne vite en rond.

Les tours de jeux se ressemblent et peuvent aller jusqu'à lasser. On fait tout le temps la même chose et dans les premières parties, on court après le joueur en tête sans pouvoir le rattraper (un effet win to win peut arriver).

Heureusement, cette impression de déséquilibre disparait après plusieurs parties, car on voit mieux ce qu'il ne faut pas laisser à tel joueur et quelle tactique trop puissante ne doit pas être mise en place par tel autre: les enchères, comme c'est souvent le cas, régulent tout ça positivement (pas totalement... heureusement, car il faudra bien que le jeu fasse serrer les dents, et il y parvient).

Durée de vie

C'est sûrement sur ce point que le jeu semble pêcher.

Car si les tours de jeux se ressemblent et qu'une impression de perpétuelle redite s'installe doucement, on peut également ressentir cela au fil des parties sur les tactiques à employer.

Le jeu est fixe: pas de plateau qui change ou de débuts de parties différents (les joueurs peuvent certes choisir deux personnages sur lesquels ils commenceront au premier niveau, mais peuvent jouer avec les mêmes à chaque partie s'ils le souhaitent: rien ne leur en empêche).

Le jeu est sans hasard: ça pourra plaire mais ça enlève la possibilité de devoir s'adapter aux nouvelles conditions. Pas de dés, de pioche de cartes ou d'évènement aléatoire: tout est contrôlé, froid et routinier.

Tout cela induit, après plusieurs parties pour bien dompter la bête (il faudra en faire plusieurs pour éviter les erreurs laissant la voie royale à un joueur), vers une linéarité quasi obligatoire. Les enchères finiront par se ressembler, on saura quoi proposer, quel prix mettre et le jeu se jouera de plus en plus automatiquement et/ou mathématiquement.

Un peu dommage: ce jeu pour joueurs confirmés finira par rendre les armes quelques parties après avoir réussi à se dévoiler réellement.

Sa durée de jeu en est donc élimée.

Le conseil de Jedisjeux

Ne condamnez pas trop vite le jeu si vous avez trouvé qu'un joueur était impossible à rattraper, que sa victoire était quasi assurée dès moitié partie (surtout que ce cas arrive moins souvent à 5 qu'à 3 joueurs): le jeu n'est pas mal équilibré, et désolé de le dire mais l'erreur viendra de vous joueurs, qui aurez laissés faire.

C'est en forgeant... en rejouant, que vous apprendrez les erreurs à ne pas commettre et la chose n'apparaîtra plus.

Le jeu deviendra alors tendu, toujours entre semi-coopération et manigances. Pour peu que vous ne ressentiez pas cette même impression que nous de cyclique, vous redécouvrirez le jeu et l'apprécierez alors.

Avis de la rédaction

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Offrandes est un jeu très beau et simple à jouer mécaniquement parlant (il ne se dévoilera pour la plupart d'entre vous qu'après plusieurs parties, tout comme bons nombres de jeux d'enchères). De plus, le matériel est bien trouvé et rend le jeu fluide et thématiquement fort. Le système d'enchères est lui aussi bien pensé et permet à chaque choix de rester bien tendu mais le reste des mécanismes, comme le jeu en lui-même au final, reste assez répétitif. Les coups bas ou alliances sont de la partie et permettent d'alimenter celle-ci de discussions intéressantes. Le jeu tourne selon toutes les configurations et gagne à être joué à plus, même si cet effet de répétition (et la phase d'enchères, allongée) s'accentue et peut nuire à l'intérêt. Un très beau jeu, rugueux mais répétitif et pas assez ludique selon mes ressentis, qui ne propose pas beaucoup d'alternatives de jeu: seules les enchères feront varier ce dernier.
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