Le voici, le tant attendu verdict final !
Nous vous avions proposé un concours pour remporter le jeu Libertalia dans lequel vous deviez nous présenter un texte avec un des personnages du jeu et plusieurs mots imposés.
Les propositions ont été nombreuses et d'excellente qualité. Nous avons du coup décidé de vous présenter sur notre Facebook dix textes qui nous avaient donné beaucoup de plaisir à lire mais qui ne faisaient pas partie des deux vainqueurs.
Et ces vainqueurs, vous les attendiez, vu que vos commentaires Facebook disaient que vous vouliez les lire car ceux déjà présentés vous avaient ravi.
Eh bien les voici.
Dites-nous ce que vous en pensez !
"Pirate" d'Antonin BOCCARA
Il y avait dans le temps
Un jeune pirate
Le mousse « Lagatte »
Fort comme un Tonneau
Un pt'it perroquet
Sur son omoplate
Jamais de l'eau plate
Mais du bon porto
Ses copains jonglaient
Avec des mousquets
Des sabres aiguisés
Comme des rasoirs
Ils riaient chantaient
Troussaient les pucelles
Vidaient les bouteilles
Il fallait les voir
Mais…
Sur Marie-Galante
C'était leur rafiot
Jamais de galantes
Pas de Roméo
Mais de beaux butins
De brillants magots
Et des abordages
De tout l'équipage…
Pas de coups dans l'eau !
Ils avaient bien sûr
Le juron facile
Des cornegidouilles
Des « coquins de couille »
De ce bon langage
Un peu populaire
Poésie d'travers
Qui jamais ne rouille
La mer ben c'était
Leur maman à eux
Ils étaient heureux
Comme Poséidon
À les regarder
Tous le pied marin
La tête de requin
Et la queue…d'poisson
Rien ne résistait
À leur grand navire
Ils cinglaient la mer
Comme des pommes vapeurs
Faisant tout sauter
Les bourses et les coeurs
Hissant pour victoire
En haut du perchoir
Leur grand drapeau noir
Chacun d'eux avait
Un p'tit truc en plus
L'un dressait des puces
L'autr' trichait aux cartes
Un vieux funambule
Aux mains maladroites
Un gobeur d'assiette
Venu des Carpates
Leur dieu c'était l'chêne
Ce beau matériau
Glissant sur les eaux
Véhicule et toit
Et même sur eux-mêmes
L'rondin était roi
Dents et jambes en bois
Et même gueule…de bois
Les princes en vaisseaux
En avaient bien peur
De ces beaux bourreaux
De ces écumeurs
Et leurs beaux écus
Qui n'ont pas d'odeur
Finissaient en hâte
Aux mains des pirates !
Mais un jour tragique
Date nostalgique
Pour la pirat'rie
Sombre destinée
Un p'tit matelot
Pour un peu de rhum
Cracha le morceau
Le secret des hommes
Oui, il révéla
La « Libertalia »
Repère de Lagatte,
Et nos chers pirates
Furent tous attrapés
Par la gard' du roi
Et ils furent pendus
Oui comme il se doit
Mais dessus leurs cordes
Ils dansaient encore
La belle java
Java des pirates
Le sourire aux lèvres
Leur dernière cravate
Narguant les bourgeois
Se foutant du roi
De la république
Et du Titanic.
Vive les pirates
Et vive Lagatte !
"La course au butin" de Sylvain LASJUILLIARIAS
Plus qu'une heure.
La semaine dernière, le galion est revenu au repaire de Libertalia, la grotte dissimulée sur la côte nord de Madagascar qui sert de cache à notre communauté de pirates. Les voiles étaient trouées par des tirs de mousquet, le pont défoncé par des boulets ennemis, le mat de misaine en charpie. Mais les cales débordaient de trésors. Le charpentier s'est mis au travail pour réparer le navire, tandis que le capitaine et son second ont partagé le butin en parts égales.
Égales, mais pas équitables.
Ici, à Libertalia, on a nos petites coutumes. Dans notre communauté, chacun aura une part, mais pas forcément celle qu'il espérait. Est-ce que ce sera un coffre débordant de bijoux ou une lame rouillée? Un tonneau de rhum ou une relique maudite ?
Le partage se fait à la course.
Premier arrivé, premier servi.
Chaque jour, le capitaine dispose sur la plage des prises de guerre à partager. Chaque soir, une partie de l'équipage fait la course pour récupérer la part de butin la plus intéressante.
Le départ de la curée n'est pas donné par un coup de pistolet. C'est au moment où le soleil touche l'océan que la course débute.
Dans un peu moins d'une heure, désormais.
J'ai passé la journée à astiquer le pont. Jusqu'à m'en entailler les doigts. Le bosco ne m'a pas lâché d'une semelle. Est-ce que c'est parce qu'il attend lui aussi de récupérer sa part qu'il est de si méchante humeur ? Le problème est qu'il est impossible de savoir qui, chaque soir, va se lancer dans la course au trésor. Les tirages au sort sont tenus secrets. On peut très bien se retrouver opposé au capitaine lui même, ou à un estropié.
Pour tuer le temps jusqu'au moment du crépuscule, je m'enfonce dans les profondeurs du vaisseau. Cachés dans l'obscurité des coursives, certains matelots jouent aux cartes, tandis que d'autres aiguisent leurs sabres. Une odeur de graillon guide mes pas vers la cuisine. J'y découvre le cuistot en train de faire mijoter le repas du soir. Est-ce qu'il fera partie de la compétition, ce soir ? Ses grands bras bougent d'une gamelle à l'autre, vifs comme les tentacules d'un calmar. On dit qu'il est le seul à être autorisé à prendre deux parts de butin.
C'est vraiment injuste.
Je remonte, le ventre tiraillé par la peur autant que par la faim. Les ombres s'allongent, les esprits s'aiguisent. Durant la course, tous les coups sont permis, sauf le meurtre. Mais une fois qu'on a choppé son magot, on ne peut plus nous le voler. Je m'approche du bastingage et remarque que quatre flambeaux ont été allumés sur la plage, à deux encablures au Sud. Ils délimitent un carré dans lequel sont parqués les trésors tant convoités. Je fais mine de me désintéresser de la chose. Il ne faut pas montrer aux autres que je fais partie de la course.
Mais alors qu'à l'occident, l'astre solaire s'apprête à effleurer la mer d'huile, je me dirige vers les chaloupes, arrimées au flanc du galion. J'en décroche un et manœuvre le cabestan pour le faire descendre jusqu'à toucher l'eau. Le plus doucement possible, sans faire de bruit. Puis je saute à la mer et me hisse dans l'embarcation. À ma gauche, je devine un mouvement. Je ne suis sûrement pas le seul à avoir eu l'idée du canot. Rares sont ceux qui se rendent sur la plage à la nage.
J'agrippe les rames et commence à souquer. La lueur tremblante des flambeaux se rapproche avec une lenteur désespérante. À tribord, j'entends des clapotis qui me dépassent et je j'accélère la cadence. À bâbord, la mer renvoie l'éclat du couchant et brille comme des milliers de rubis. Rubis que j'aurai peut-être bientôt entre les mains...
C'est alors qu'une chose me chatouille les chevilles. Une bête ! Je secoue le pied et perçois un cri strident qui me vrille les oreilles. Ce n'est que le singe du capitaine qui s'est faufilé sur le canot en même temps que moi. Peut-être le macaque espère-t-il se dégoter une banane sur la plage !
Tentant d'ignorer le clandestin, je reprends ma progression. Lorsque mon embarcation touche enfin la terre ferme, les ténèbres ont complètement envahi le monde. Il ne reste qu'un liseré violacé qui surligne l'horizon. Me tournant vers les flambeaux, je perçois à contre-jour la silhouette du singe qui sautille devant moi. D'un seul coup, je me jette sur lui et lui enfonce la tête dans le sable. En voilà un qui ne me piquera pas ma part.
Je m'approche du trésor à grandes enjambées. Le sol exhale une bonne odeur de sable chaud. De la jungle, toute proche, montent les cris de grands perroquets malgaches. Je me fige. Au centre du carré de lumière, deux silhouettes massives sont en train de se disputer. J'arrive juste à temps pour voir une brute épaisse étaler le quartier-maître d'un crochet du droit. Tous les coups sont permis. Je laisse passer quelques battements de cœur et m'avance avec précaution. Le colosse se tourne vers moi et me lance un regard farouche.
« Sers-toi », je lui dis. « Je prendrai ce qui reste. »
Il plisse les yeux et se penche vers le tas de trésors. Je distingue un tonneau de belle taille – rhum ou tafia – deux caissettes de bijoux et un sabre étincelant sous les flammes. La brute se penche et saisit le tonneau, avant de le hisser sur son épaule comme s'il s'agissait d'un sac de plumes.
Une silhouette se dessine alors entre deux flambeaux. Une barbe broussailleuse, des manches retroussées, des vêtements tachés de sang, c'est le chirurgien de bord qui vient pendre son dû. Je me rue sur une caisse et commence à la tracter hors du carré de lumière.
Premier arrivé, premier servi. C'est fichtrement lourd, mais je sais que je peux y arriver. J'entends un rire gras s'élever.
« Ou crois-tu aller, petit ? »
« C'est à moi. Trop tard pour me le prendre. »
Le rire continue de plus belle. Ce médecin m'apparaît de plus en plus antipathique.
« Tu connais la règle, petit mousse. Si tu participes pas aux assauts, tu prends pas de part. »
« Mais je croyais... »
« Allez, va porter ça jusqu'à la chaloupe et t'auras une gorgée de rhum. »
Vaincu, je m'apprête à obéir lorsqu'un choc dans les reins me fait trébucher dans le sable. Je me retourne. C'est le singe qui a attrapé le sabre qui vient de m'en donner un coup du plat de la lame.
Lui, il participe aux assauts, même s'il ne fait que crier et battre des mains.
La vie est trop injuste.
FIN