Bruno Faidutti

Vous voulez en savoir plus sur l'auteur de jeux français le plus connu et le plus prolifique ?

Ça tombe bien : nous l'avons interviewé.

Allez, je vois bien que vous êtes impatients : je vous évite donc les formules de bienvenus que nous nous sommes échangé et vous fait entrer direct dans le vif du sujet...

Quand on parle de vous ou que l'on fait la synthèse de vos créations, on parle parfois de "chance" ancrée dans vos jeux là où en fait se trouve du bluff ou ce qu'on appelle du "guess", que l'on retrouve dans un jeu que vous aimez beaucoup : le Poker.

Cette "marque de fabrique" est-elle un hasard et ce mécanisme (si on peut parler de mécanisme genre, plutôt) est-il l'un de vos favoris ?

B.F. : J'aime beaucoup qu'un jeu soit très interactif, c'est à dire que les effets des décisions d'un joueur dépendent fortement des décisions des autres joueurs. Cette interaction est généralement absente des jeux de hasard, mais très présente dans les jeux de stratégie, ou chacun essaie d'anticiper les choix possibles de son adversaire. Elle est aussi, très différemment, au cœur des jeux de rôles. Malheureusement, je n'ai plus vraiment le temps et la souplesse d'esprit nécessaire aux jeux de rôles, et les jeux de stratégie me semblent toujours un peu froids, comme si j'interagissais avec un ordinateur. Le double guessing, dans lequel on doit deviner ce que son adversaire est en train de faire, ou le bluff, qui va plus loin en permettant d'essayer d'induire délibérément son adversaire en erreur, permettent cette interaction d'une manière que je trouve plus légère et, finalement, plus sympathique. D'un point de vue théorique, intellectuel, le jeu de rôles reste pour moi le type idéal du jeu de société, mais je pense que si je ne parviens plus à le pratiquer, c'est qu'il demande un investissement personnel trop fort, et que je tiens de plus en plus au côté divertissement, léger, sans importance, du jeu.

Quels sont d'ailleurs les mécanismes de jeux que vous préférez et ceux qui vous plaisent moins ?

B.F. : C'est assez difficile à dire comme cela, car cela dépend souvent du moment. Disons que j'ai un faible pour le bluff, comme je viens de le dire, pour les enchères, pour les cartes action, pour les pouvoirs distincts accordés à chaque personnage. Je pourrais continuer la liste, et il y a pour chacun de ces mécanismes des jeux que je n'aime pas. Mais il est vrai que, même si j'étais dans ma jeunesse un assez bon joueur d'échecs, je m'ennuie maintenant aux jeux de stratégie pure, que je pratique peu même si je m'y défend bien, tout comme je m'ennuie aux jeux de hasard, que je ne pratique absolument pas.

Vous avez joué aux échecs en club ? Quel était votre classement ?

B.F. : J'y ai joué quand j'avais une quinzaine d'années.

Je ne me rappelle même plus comment fonctionnait le classement! Tout ce dont je me souviens, c'est que c'était une valeur chiffrée.

Pour en revenir au poker, vous avez fait une conférence récemment sur ce dernier au "musée de la carte à jouer" et allez inaugurer le 28 Juin une exposition sur vos jeux.

Que ressent-on à être traité comme un "artiste" alors que le jeu, en général, est loin d'être associé à l'art en France ?

B.F. : Je suis bien sûr très flatté, même s'il est vrai que mon rêve serait d'être reconnu non comme un artiste ; je ne pense pas qu'un auteur de jeu soit un artiste ; mais comme une sorte d'écrivain. Le jour où il y aura une exposition sur un auteur de jeu à la BN, et même si cet auteur n'est pas moi, je serai entièrement satisfait. Mais il est vrai que l'auteur de jeu est encore trop souvent en France, contrairement à ce qui se passe par exemple en Allemagne, considéré comme un inventeur, alors que son travail relève bien plus de l'écriture de scénarios que de l'invention de mécanismes.

Et si on devait parler de "Faiduttisme" dans 200 ans, quel serait selon vous la définition du terme ?

B.F. : Je n'en ai aucune idée, et à vrai dire, même si la modestie n'a jamais été mon fort, je ne pense quand même pas qu'on en arrivera là.

Comment parleriez-vous, décrierez-vous le métier d'auteur de jeu à une personne extérieure au monde ludique ?

B.F. : Je lui dirai que l'auteur de jeu est une sorte de romancier paresseux, qui se contente de la partie la plus agréable et la plus amusante de l'écriture, la mise au point du scénario et des mécanismes qui le font tourner, et se dispense de ce qui demande un réel travail, l'écriture.

Restons dans la création de jeux avec votre exposition: pouvez vous nous dire comment naît l'idée d'un jeu chez vous ?

En jouant à des jeux, en vous posant sur un bureau et en cherchant L'Idée ou cela peut il être en lisant un livre, en prenant votre café... ?

B.F. : Comme c'est devenu à moitié mon métier (l'autre moitié, c'est prof), j'ai toujours dans un coin de ma tête un tiroir ouvert pour une idée de jeu, ou une idée pour un jeu. Quant au moment, ce peut-être n'importe quand, mais pas en lisant un livre. Quand je lis un livre, surtout un bon livre, je suis entièrement dedans et ne pense à rien d'autre, au point parfois de ne pas entendre sonner le téléphone.

Pouvez-vous justement nous parler de vos prochains jeux à paraitre ? ("Red November", "Corsaires" et ceux que nous ne connaissons pas encore...)

B.F. : En principe, les trois prochains seront en effet Novembre Rouge, un jeu de coopération humoristique inspiré du drame du Kursk. Jef Gontier et moi avons voulu faire quelque chose de plus léger, de plus drôle, de plus chaotique, de plus immersif (si j'ose dire) que les jeux de coopération déjà parus, qui sont tous assez techniques. Novembre Rouge est donc un jeu de coopération éducatif sur les dangers de l'alcoolisme en milieu confiné.

Corsaires est un petit jeu de cartes de bluff pur, tout à fait dans l'esprit de mon Toc Toc Toc ! un petit jeu que j'aime beaucoup, qui se vend assez bien et qui se fait régulièrement descendre sur les sites de gros joueurs. Et celui là, je l'ai fait tout seul, ce qui prouve que j'en suis encore capable ; en tout cas pour des petits jeux avec dix lignes de règles.

Ad Astra est une plus grosse boîte, un assez gros jeu de développement conçu avec Serge Laget. Les joueurs rivalisent pour aller sur des planètes lointaines, extraire des minerais, terraformer, construire des vaisseaux spatiaux, tout ça, avec des mécanismes quelque part entre Warrior Knights et les Colons de Catane. Ça sortira chez Nexus donc, j'imagine, avec plein de jolies petites figurines.

Quels mécanismes retrouvera-t-on dans red november, au delà de la coopération ?

B.F. : On y retrouvera, entre autres, le système de gestion du temps et des tours de jeu de Jenseits von Theben, avec une échelle de temps de 60 minutes, et un marqueur pour chaque joueur indiquant le temps qu'il a "dépensé" depuis le début de la partie. Si tous les joueurs tiennent 60 minutes, les secours arrivent et le sous-marin est sauvé. Chaque action un peu difficile (éteindre un incendie, réparer le moteur, désactiver les missiles) est résolue par un jet de dé, la probabilité de succès dépendant des circonstances, des cartes jouées et du temps que l'on choisit d'y passer.

Il y a déjà un moment vous parliez d'une version "deluxe" de Citadelles qui pourrait sortir en 2009: Pouvez vous nous en dire un peu plus (si le voile commence à se dissiper déjà chez vous) ?

On imagine y retrouver l'équivalent de la seconde édition et de son extension, peut être un bailli avec un symbole proposant de le jouer en dernier, un trésor impérial avec un texte corrigé, une merveille à jouer gratuitement ou pas, en proposant ses deux versions connues...

Bref, y aura-t-il de ça ? Quoi d'autre ?

B.F. : C'est très simple ; je ne sais absolument pas où cela en est. La réponse de l'éditeur quand je le lui demande est généralement : oui, oui, on va le faire, ça avance, mais il est vrai que je ne suis pas cela avec la même curiosité et la même excitation que ce qui concerne mes nouveaux jeux.

Citadelles a été conçu seul, même si vous évoquez un auteur qui vous a inspiré.

Cependant vous créez souvent vos jeux en duo.

En quoi est-ce plus simple ? Qu'est-ce qui peut rendre la chose plus compliquée ?

Chaque auteur travaille-t-il sur une particularité, un mécanisme précis ou pas ?

B.F. : C'est extrêmement variable. Ce que j'apprécie dans la collaboration, c'est surtout que cela permet d'entretenir de bonnes relations avec des auteurs qui, le plus souvent, sont très sympathiques. D'un point de vue pratique, c'est vrai que cela permet souvent d'aller assez vite car quand l'un n'a pas le temps, ou coince sur un mécanisme, c'est l'autre qui prend le relais.

Avec quel auteur avec lequel vous n'avez pas encore travaillé souhaiteriez vous faire un jeu ?

B.F. : Il y en a plein, mais de toute façon, je n'ai pas le temps !

Et pour terminer, que pensez de ce petit site qui essaie de communiquer sa passion : Jedisjeux ?

B.F. : Pour être franc, je n'y vais pas souvent. Il y a maintenant tellement de sites de jeux que l'on est un peu noyé et, souvent, on passe à côté d'une perle. Je vous promet de le consulter plus fréquemment dans les semaines qui viennent et de m'en faire une idée plus précise !

Réagir à cet article

Il n'y a aucun commentaire