Février dernier, juste avant le festival de Cannes, je contacte Playad Games pour une interview avec Monsieur Arnaud Ladagnous à l'occasion de la sortie d'Agents secrets, leur deuxième jeu. Faut dire que nous surveillons d'un oeil intéressé tout ce qu'il peut se passer du côté de Playad depuis New York Kings. Bon, la tornade Cannoise nous a fait prendre un peu de retard, mais mieux vaut tard que jamais !
Voici enfin l'entretien avec Monsieur Arnaud, pour une discussion sans langue de bois !
Présentations !
Playad c'est toi Arnaud ? Peux-tu nous décrire la naissance de Playad games, il y a deux ans maintenant ?
En plus de différents emplois plus ou moins alimentaires, j'ai toujours créé des jeux. Plus ou moins aboutis, plus ou moins jouables...
Parmi les plus fréquentables, il y avait le projet New York Kings. Je m'étais décidé, avec celui là, à sortir du bois et à commencer un tour des éditeurs. Ce que j'ai fait, un peu. Et pour tout dire, le tour est vite fait. Un début d'intérêt ici, une rafale de refus là, une expérience avec un agent d'auteurs avortée...
J'en étais à la énième version et les choses ne semblaient pas vouloir bouger d'un centimètre. Et puis, au détour d'une partie avec des amis, l'un d'eux a dit : "Ce jeu, si on voulait l'éditer, on ferait comment?".
Au début, on en rigole. Puis on en discute.
Fabrication, stockage, présentation, commercialisation, distribution, animation... autant de raisons de ne surtout rien faire tant la chose demande du temps et des compétences et que le modèle économique est juste fantaisiste. Mais avec l'arrivée de deux autres compères, nous avons peu à peu répondu à toutes ces questions, de façon très pragmatique, et la chose devenait envisageable.
Playad Games était né.
On est donc 4. Nos deux premiers titres portent ma signature mais ce n'est gravé dans les statuts de Playad. On rencontre des auteurs, on teste, ils nous testent... On devrait rapidement inclure d'autres signatures.
Girls with guns
"we like games where girls have guns" semble la ligne éditoriale qui se dégage :) c'est un fantasme qui vient du cinéma ?
Est-ce que tu penses que ça restreint tes jeux à un public plutôt masculin ?
Le problème d'une page facebook, c'est qu'il faut l'alimenter de temps à autre ;-) En réfléchissant deux secondes aux points communs entre New York Kings et Agents Secrets, on a trouvé que, sur la forme, les deux incluaient visuellement des femmes avec des armes à feu. On s'est juste amusé à en faire un petit visuel. De là à tenir une ligne éditoriale, c'est plutôt mince... Mais pourquoi pas !
Quant au fantasme qui vient du cinéma, tu as tapé dans le mille. Dans l'autre vie, celle qui fait bouillir les marmites, je réalise des films (institutionnels, pubs...). De la frustration de ne pas faire assez souvent ceux que j'ai en tête, j'en fais peut-être des jeux. C'est vrai que ces deux premiers titres ont les pieds dans des univers qui empruntent beaucoup au cinoche.
Par contre, je me défend de destiner ces jeux à un public plutôt masculin. Ok, New York Kings sent un peu la testostérone bien que les femmes y tiennent la dragée haute mais Agents Secrets dégage des parfums plus subtils et nuancés ;-)
La sortie d'un premier jeu est capital dans la vie d'une jeune maison d'édition. Comment ça s'est passé avec NYK ?
Formidable et compliqué. Nous avons été très agréablement surpris de l'accueil fait au jeu, des retours, des avis, de tous ces témoignages de parties...
Sur le fond, le pari est donc gagné. New York Kings semble répondre à un vrai appétit ludique autour du thème et on a prouvé, semble-t-il, que Playad Games n'avait pas démérité sur la qualité de sa première proposition.
Une première série partie très vite, on exulte, on s'emballe, on commande une deuxième série et... On comprend que ça ne va pas être aussi simple ;-)
Nous découvrons maintenant la difficulté d'installer durablement un jeu auprès d'un réseau de distribution. D'autant plus quand le jeu est dans la catégorie "un peu velu".
Encore trop de boutiques ne le connaissent pas. On y travaille. Mais une nouveauté chasse l'autre et la concurrence est rude.
Sur la forme, il faut donc qu'on apprenne à mieux maîtriser nos commandes/stocks. Le métier rentre... ;-)
Et puis, il y a des vérités qu'il faut savoir regarder en face : il y a plus d'attrapeurs de totems que de fondus de Scorsese ! Suivant nos envies, seules maîtresses à bord, on part du principe qu'il faut de tout pour faire un monde ludique. Reste à espérer qu'on aura suffisamment de soutiens pour survivre dans un monde d'éditions ludiques, nuance de taille...
A ce propos, une chose est sûre : sans le moindre sou pour la pub, le travail de présentation et d'explication du jeu dans vos colonnes et celles de vos confrères a été LA clé sans laquelle on n'entrait pas dans la ronde. Pour de jeunes éditeurs, c'est juste... décisif. Merci. Bon, je range le cirage mais je l'ai sorti de très bonne grâce :-)
La suite de NY
New York King a été un coup de coeur, je crois qu'on s'est tout de suite reconnus dans les références cinématographiques... et on a plongé dedans ! Des extensions sont prévues ?
La première extension "Mr R.I.P et Lady Shado" vient d'une envie de faire un cadeau. Nous voulions remercier nos premiers acheteurs de nous avoir permis d'exister.
Si nous devions en faire une autre, elle serait sans doute plus copieuse et donnerait lieu à une boîte complémentaire. Ce ne sont pas les idées qui manquent et régulièrement nous recevons des propositions et des suggestions de joueurs. Avant d'y songer, il faudrait que le jeu s'installe un peu plus profondément. Qu'on en vende plus quoi !
Export
Le jeu va t-il sortir aux States du coup ? Sur qu'il cartonnerait la-bas ...
Cela fait un moment qu'on y pense et les choses avancent... doucement. On s'oriente vers un Kickstarter.
Et quitte à éditer une nouvelle version, Ce sera l'occasion de refondre le jeu.
Là encore, beaucoup de boulot et ce n'est pas notre priorité.
Agents Secrets
Venons en au prochain : AGENTS SECRETS prévu pour mars ? Je crois que le jeu est en train d'être imprimé à l'heure où nous parlons, ça se passe comme tu veux dans la production ? [Ndlr : le jeu, depuis, est sorti, il cartonne bien même !]
Pour New York Kings, la quantité de matériel et ses différents composants (cartes/plateau/dés personnalisés/supports plastiques...) induisaient une fabrication à l'étranger.
Ce n'est même pas qu'une question de coût, il est malheureusement juste impossible ici de trouver un fabricant qui puisse faire intégralement ce dont nous avions besoin (ou alors en sous traitant ailleurs tout ou partie et nous facturant l'intermédiaire).
Pour Agents secrets, parce qu'on pensait que c'était possible, on a voulu qu'il soit intégralement fabriqué en France, en l'occurrence près de chez nous.
Pas facile. Les gens qui le fabriquent n'avaient pas fait de jeux avant. On arrive maintenant dans la dernière ligne droite et on espère que cette première expérience commune en ouvrira d'autres. Le truc, c'est que pour qu'il reste à un prix public acceptable, le prix de fabrication est tel que si on ne fait pas un carton avec, on va juste... rien gagner du tout.
Notre démarche vertueuse aujourd'hui peut donc vite se retourner demain. Donc pas d'angélisme ni de "donnage de leçon" à quiconque. On essaie et on voit...
Module 6
Tu nous a raconté l'étonnante histoire de Module 6 dont vous vous êtes inspirés pour Agents secrets (cf la preview). Peux-tu nous détailler la phase d'adaptation ? Vous êtes vous inspirés de Résistance aussi ?
La découverte de Module 6 a été un vrai cadeau. Dans tous les sens du terme. Des amis vous ramènent un jeu "vintage" de Cuba, en sale état, en Russe... Bon, merci... Une bizzarerie de plus dans la ludo... On en arrive presque à regretter qu'ils n'aient pas choisi un vieux Rhum ou quelques cigares et puis on traduit cette fameuse notice et là... Bingo !
Un "protocole" plus qu'un "jeu" comme on l'entend. Un jeu coopératif avec "intrus", des cartes de valeurs, des enjeux. Le tout très confus et incomplet mais j'y ai vu très vite, entre les lignes, l'essentiel : Agents secrets.
Le "game play" était entièrement à revoir, compléter, augmenter et moderniser mais mon imagination était déjà partie dans la case "Guerre Froide - Espions - Agents doubles".
Module 6 a donc été plus un fouet à l'imagination, de part la nature et le lieu de sa découverte, qu'une adaptation d'un jeu à la mécanique établie et éprouvée.
Pour la construction de la mécanique, il y a effectivement un aspect qui peut évoquer Résistance (agent double/secret des cartes jouées) mais la dynamique de jeu repose sur un VRAI coopératif. Les deux compagnies concurrentes (CIA et KGB) jouent vraiment en équipe pour emporter les Missions. Et la présence d'un agent double dans chacune peut ne pas contrarier sévèrement leur stratégie, si elle est efficace. Ils auront d'ailleurs l'opportunité de dénoncer la brebis galeuse s'ils pensent avoir mis la main dessus et donc de réduire ses efforts de nuisance.
Donc agent double, oui, mais pour un jeu qui ne se définit pas, à mon sens, dans un esprit méfiance & trahison.
Agents dormants
Et d'après toi quelle est la véritable origine de Module 6 ?
J'aime à penser qu'on est vraiment tombé sur un protocole/document de travail du KGB des années 60.
Une sorte de jeu de mise en situation.
Certains éléments nous invitent à le croire : aucune référence ni crédit, un paragraphe d'ouverture très "secret défense"...
Mais là encore, notre imagination s'est emparée de la chose avec une telle force et une telle évidence qu'on s'est "auto-conditionné"... En bons petits agents dormants ;-)
Route 66
Vous avez des projets dans les tiroirs dont vous pourriez nous parler ?
Vous êtes bien placés pour savoir qu'on a, entre autre, un dénommé "ROUTE 66 - Dead Line" dans nos tiroirs. Les derniers tests ne sont pas encore définitivement probants mais il reste sur l'établi. On sue sang et larmes dessus, et c'est juste ce qu'il faut pour ce jeu ;-)
Pour le reste, j'adorerais vous parler de ce qui nous anime en ce moment mais ça vient d'auteurs extérieurs et tant que rien n'est signé... On ne peut juste pas.
Première apparition sur la croisette
On vous voit à Cannes cette année ? [Ndlr : en effet, on s'est vus ;)]
Oui. On a cassé la tirelire et on a pris un stand. Première fois dans la "cour des grands"... Là encore on essaie et on voit... D'ailleurs ce sera peut-être ça, au final, notre devise éditoriale ! ;-)
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