Um Rhum Und Ehre : Des pirates en goguette

Il n’y a pas si longtemps, dans notre galaxie aux alentours de l’an 2006, bien avant Les châteaux de Bourgogne, L‘année du Dragon, Macao, etc… monsieur Stefan Feld avait sorti un jeu… rigolo (Oui, incroyable hein ?) qui avait pour titre Um Rhum und Ehre ! Et c’était déjà chez Alea dans la gamme «Grosse boîte». C’était d’ailleurs la première fois si je ne m’abuse qu’Alea éditait un jeu de celui qui allait devenir leur auteur vedette. Et quand on découvre URUE, on écarquille bien grands les yeux : «Bigre ! Mais c’est du même gars qui a fait Bora Bora et Trajan ?»

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Les jeux et la vie du pirate.

Dans la plupart des jeux ayant pour thème la piraterie, les pirates font toujours un peu la même chose : ils attaquent des navires, pillent des marchandises, recherchent de l'or, prennent des otages, se lancent à l'assaut de forteresses, affrontent des tempêtes, etc.

Vous allez me dire : « Ben oui, mais c'est un peu pour ça qu'ils sont connus quand même, et puis que pouvaient-ils faire d'autres ? »

El leurs loisirs alors ? Vous y avez pensé à leurs loisirs ? Non parce que se lancer à l'abordage d'un navire, enterrer ou déterrer un coffre bourré de doublons près d'une plage, se battre pour un oui ou pour un non, échapper à la gangrène après une vilaine blessure, éviter la prison (et la pendaison)…Tout ça c'est du boulot. C'était facteur de stress, de fatigue physique et même de dépression, surtout quand ils n'arrivaient pas à mettre la main sur un gros butin après des mois de navigation...

L'Histoire n'en a pas gardé trace, mais je peux vous dire que parfois, le pirate déprimait.

Heureusement, monsieur Stefan Feld était là pour nous faire prendre conscience de tout cela, et il a levé un voile sur l'intimité du pirate, son comportement à la ville, sa recherche de dérivatifs pour se requinquer après moult rudes aventures en mer. Qui était l'homme qui se cachait derrière son bandeau de borgne, sa jambe de bois ou son crochet… (voire les trois) ? Et bien oui, il arrivait au pirate de quitter le nid pas toujours douillet de son navire pour aller à la découverte d'une ville portuaire avec en tête une démarche purement culturelle et la volonté de se détendre. Visite guidées des monuments, des musées, faire des étapes gastronomiques, avec toujours le soucis de s'imprégner des us et coutumes de l'endroit. Pour cela, il allait à la rencontre de ses habitants, notamment des autorités, et ne manquait pas de saluer des collègues. Et puis il espérait toujours un peu rencontrer l'amour, car sous cette rude écorce de marin buriné, tatoué, cicatrisé, se cachait parfois un cœur d'adolescent, prêt à céder aux appels de Cupidon, à rencontrer une belle, lui prendre la main, marcher avec elle dans des jardins fleuris et….

« STOOOOOOP ! Mais de quoi tu parles là ??? Non mais c'est quoi ce jeu ? »

Bon Ok, vous êtes insensibles à la poésie d'une promenade de pirate au clair de lune, alors autant vous dire la vérité, c'était pas tout à fait ça. D'ailleurs la dame sur la boîte, en pointant son doigt vers la tempe semble nous dire "Mais ils sont pas bien ces types là !"

Dans Um rhum und Ehre, le joueur se charge d'organiser pour une bande de pirates et leur rouge capitaine diverses activités, histoire d'agrémenter leur séjour sur le plancher des vaches.

Au programme, des bagarres, du rhum, des femmes (mais sans soldat Louis), des trésors.et des points de prestige, d'Honneur même, à gagner. Voilà, Vous êtes contents ? Ça vous suffit comme background ? Et en plus, les hôtels étant trop chers ou bondés, faut trouver le moyen de ramener ces gaillards titubants aux navires et de les faire coucher où on peut, en sachant que les meilleures places seront chaudement disputées.

Um Rhum und Ehre est un jeu marrant comme de temps à autres les auteurs allemands savent en faire, avec, chose assez inhabituelle à l'époque chez Aléa, des lancers de dés fréquents pour résoudre des situations plutôt périlleuses. Stefan Feld est un auteur talentueux, mais il a surtout produit ces dernières années des jeux assez « sévères », comprenez que l'humour et la fantaisie en sont plutôt exclus. Certes il propose toujours des mécanismes intéressants (et pour cette raison, sa popularité chez les gamers a été grandissante), mais la légèreté n'est pas leur première spécificité, sans parler d'un thème parfois (souvent ?) aux abonnés absents.

« Corne de bouc ! Suivez moi garçons ! ».

Oui, parfaitement madame on les sent pas très futés ces gars là...

Oui, parfaitement madame on les sent pas très futés ces gars là...

Promenons nous dans la ville.

Là en revanche, on va bien retrouver nos gredins : bagarreurs, risque-tout, soiffards, attirés par l'or, avec en plus un capitaine porté sur la chose. L'originalité thématique est donc de ne pas montrer les frêres de la côte en train d'aborder un navire, mais de vivre plein de petites aventures dans des ruelles sombres. Il fait nuit, l'éclairage est pas terrible, et l'on sent bien que tout cela pourrait se terminer à coups d‘armes tranchantes et autres entre individus passablement éméchés. En tout cas, apprêtez-vous à faire chauffer les dés, car URUE en fait une belle consommation.

La mécanique de base est simple : c'est du placement en file indienne de figurines sur des cases de rue (le capitaine envoie ses gars en éclaireur si vous voulez) et lorsque vous déplacez le capitaine en tête de Colonne sur un endroit précis, vous pourrez effectuer une action. Et des actions, il y en a pas mal (oui, c'est Bien un Feld). Alors, on peut faire quoi dans cette ville ?

"Vous prendrez bien un petit rafraîchissement ? "

« C'eeeeeest… à boire à boire à boire-eeeeuuuu !…Hips ! ».

Tout d'abord, vous pouvez inviter d'autres pirates à picoler ! Ben oui, ça s'appelle Rhum et Honneur, mais pour l'honneur, on verra après.

Je cite les règles : «Que serait un repaire de pirates sans tripots lugubres, ni bars enfumés ? Et que seraient de tels établissements sans joyeuses beuveries ?».

En allant dans un tripot, vous pourrez avec de la chance, gagner du prestige, mais il faut payer le joueur qui vous invite…m'oui, c'est une invitation de pirate quoi.

Le mécanisme ? C'est très simple. D'ailleurs tout le jeu est un assemblage de petits mécanismes qui ne vont pas vous détruire des neurones, mais qui exigent quand même de faire des choix. Alors au tripot, y vont ceux qui veulent bien (et qui peuvent payer), puis on se dispute à coup de dés des tuiles qui rapporteront des points plus tard.

«Qui s’y frotte s’y pique »

« Le coffre est bourré de pièces d'or ! Je me sers le prem… Aïe !!

« Gnark, gnark, gnark ! Ben t'as trouvé aussi un magnifique exemplaire d'hétéromère spinifère ! Mais comment est-il arrivé ici ? »

Comment, personne ne sait, mais celui qui s'empare d'un coffre prend une tuile sans scorpion et ensuite…et bien chaque joueur, tour à tour, lance un dé et on additionne les sommes au fur et à mesure. Dés que l'un des joueurs atteint la somme inscrite sur le deuxième tuile (celle au scorpion), il se fait piquer, et perd 2 points en fin de partie.

Vicieux hein ? Moi, j'adore…

« 22, v'là les keufs ! ».

Des rues sombres...l'aventure peut commencer!

Des rues sombres...l'aventure peut commencer!

Ensuite, si vous pensez que vos gars manquent d'exercice, vous pourrez leur organiser une bonne bagarre avec la patrouille chargée de faire respecter l'ordre. Là encore, il faudra se montrer à la hauteur…plus on est nombreux, mieux c'est.

Le joueur doit retourner une tuile « Gardes » et si il possède un nombre de pirates en réserve strictement supérieur au chiffre sur la tuile, il la gagne (avec parfois une pièce d'or…ces bandits font les poches des gardes assommés ! Ils sont taquins hein ?).

Très aléatoire ? Pas tout a fait, car il y a des « tuiles petite garde » et « grande garde » : C'est à vous de doser votre effort en choisissant la catégorie de le tuile retournée.

Mignonne, allons voir si la rose…

Le capitaine est un romantique…je cite encore une fois les règles :

« Que serait un capitaine sans fiancée,

sans amour ni attention ?

Rien qu'un type rude,

sans éducation… »

c'est boôôÔÔoo ! En ce temps là, Stefan était un vrai poète, hein ?

Dans les recoins de ces rues sombres, il y a des endroits qui servent de boîte aux lettres. Quand le capitaine s'y rend, il peut découvrir le message (sous forme d'une tuile) adressé par une charmante personne qui lui donne rendez-vous sur un autre point du plateau. Si le capitaine y parvient, le joueur marquera les points indiqués sur la tuile. Evidemment, vu que c'est le même capitaine qui est promené par les autres joueurs, il arrive qu'il fasse tellement de détour…qu'il en loupe la belle.

"Tu cherches l’aventure et la fortune ? Fais une croix là…"

Le capitaine (en rouge) commence à visiter les endroits louches...

Le capitaine (en rouge) commence à visiter les endroits louches...

Une ville portuaire, c'est une bonne occasion de recruter de nouveaux compagnons. Et bien là aussi, il a une appli….heu…une case pour ça. Renforcer votre équipe est naturellement une bonne idée : vous pourrez ainsi faire un parcours plus long dans les rues, vous bastonner plus facilement avec les CRS du coin, et conduire le capitaine à plus d'actions. Et puis quand arrivera le délicat problème du couché, quelques gros bras supplémentaires ne seront pas inutiles pour que vos gars s'imposent. Hé, hé, hé…

« Bienvenu chez John, la boutique pour pirate à la jambe de bois

Et bien oui, qu'est-ce que vous croyez ? Certains petits malins avaient parfaitement compris que les aventuriers des mers, comme tout professionnels, avaient besoin de compter sur un matériel solide, capable d‘imposer le respect. Un crochet bien ajusté, un cache-œil non putrescible, un chapeau, un perroquet, etc…toute une panoplie quoi. Mais parfois le produit peut être décevant (pas assez de points d‘honneur), alors le pirate peut le revendre contre un peu d'or. On survit comme on peut quoi…sinon vous gardez plusieurs exemplaires du même article, et vous gagnerez encore plus de points au décompte final.

« Mille sabords ! J’ai trouvé une carte au trésor !

Quelques-unes des nombreuses tuiles du jeu : scorpion, carte au trésor, patrouille des gardes, etc...

Quelques-unes des nombreuses tuiles du jeu : scorpion, carte au trésor, patrouille des gardes, etc...

« Heu…bravo capitaine, ça rime, mais c'est une moitié de carte…il faut trouver le morceau manquant ».

Vous vous en doutiez non ? Un jeu de pirate sans carte au trésor, ça paraît peu envisageable. Et bien ici, si vous trouvez une moitié de carte d'une certaine couleur, il vous faudra trouver l'autre moitié de la même couleur. Et tout cela pour quoi ? Des points évidemment. URUE n'échappe pas à une des grandes caractéristiques des jeux feldiens : de nombreuses sources de points : 8 pour être précis, moins cependant que dans certains jeux du même auteur sortis plus récemment.

« Pousse-toi d’là que j’my mette ! »

De rudes gaillards qui vont en découdre....pour dormir dans une couchette !

De rudes gaillards qui vont en découdre....pour dormir dans une couchette !

Ah ! Le retour au navire après une nuit de débauche…comment vous dire ? Et bien c'est du sport. Les pirates (techniquement, ceux qui n'ont pas été utilisés en déplaçant le capitaine) vont s'affronter pour s'emparer des meilleurs endroits sur le navire afin de faire un gros dodo, une bouteille de rhum serrée sur la poitrine en guise de doudou.

Il y a, du plus confortable au moins douillet, des couchettes, des hamacs et des gros rouleaux de corde. La soirée se termine donc en grosse rixe par une série de duels et l'enjeu est toujours le même : des points d'Honneur (et accessoirement une bonne nuit de sommeil).

Dans cette phase là, on en lance du dé ! Elle est parfois un peu longuette, mais quel suspense !

Un Feld pas comme les autres…

Beaucoup de tuiles ? Pas de problème, une boîte de rangement bien pratique est fournie...

Beaucoup de tuiles ? Pas de problème, une boîte de rangement bien pratique est fournie...

Alors voilà : à la question « c'est quoi ton jeu préféré de S. Feld ? », il m'arrive de prendre le malin plaisir de répondre «Rhum et Honneur ! Un jeu pour Joueur avec un grand J, pas pour expert-comptable !».

Oui, je sais, je taquine, je taquine, mais reconnaissez que les jeux de ce talentueux auteur allemand manque un peu d'épique et d'humour, alors qu'il a été capable d'en insuffler comme dans Rhum et Honneur.

Vous avez sans doute compris qu'il y a beaucoup de lancés de dés, et donc une réflexion vient immédiatement à l'esprit : «M'ouaip, c'est un jeu de mollusque bivalve ton machin là, non ?» .

C'est pas faux.

Mais le hasard peut se corriger en collectant des jetons « Tonneaux de rhum » qui permettent de refaire des lancers pas satisfaisants. Pour moi, URUE est surtout un jeu de prises de risque, des risques que l'on peut évaluer par endroit. Malgré la légèreté de l'ensemble (i.e « qui ne se prend pas au sérieux ») je soupçonne quand même la présence de quelques petites voies stratégiques.

Avec Um Rhum une Ehre, le vainqueur ne sera pas toujours le meilleur « cogiteur », mais on s'y amuse (mes quelques parties de URUE ont engendré de bonnes rigolades) et c'est bien là le principal.

Comme les pirates, les joueurs aussi ont le droit de se détendre…non ?

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Il y a 7 commentaires

jedisjeux
By limp | 3 avr. 2014 à 22:35

On est tous d'accord que le jeu est "thématisé"... pour un Feld, parce qu'il ne faut pas exagérer non plus.

Je ne disais pas présomptueusement au Zep qu'il était passé à) côté du jeu s'il ne l'avait pas ressenti comme moi, chose que tu fais bien maladroitement avec moi.

Ce jeu n'est pas un jeu d'ambiance, et n'a donc rien de fun. Même la part de hasard des dés ne l'est pas vraiment, je trouve (alors que j'aime ce côté "fun" dans l'age de pierre par exemple).

Plein de façons de scorer : du feld quoi. Peux-tu me dire ce que tu trouves fun à ce jeu, vu que moi, ça m'échappe totalement ?

Je vois bien l'interaction, la thématique, le côté un peu plus familial du jeu que ce que fais d'habitude l'auteur, mais je ne vois en rien un jeu fun ou marrant. Si à partir du moment qu'on a pas à se triturer le cerveau comme sur un jeu de Wallace, on a affaire à un jeu fun, c'est juste une histoire de définition et pas de ressenti, alors...

jedisjeux
By limp | 3 avr. 2014 à 23:08

Inutile de faire ta pleureuse, Blue.

Je viens commenter mon impression sur le jeu, et propose aux autres de donner la leur, histoire de voir qui a un ressenti plus proche du mien et qui en a un plus proche de celui du Zep.

Et là, tu arrives, narquois, avec ton "si tu vois pas le fun, t'es passé à côté". Quand on a l'esprit si ouvert sur la possibilité que chacun ait son ressenti et qu'on fait une réflexion, je trouve marrant de faire sa pleureuse juste après sur le même sujet quand tu sens pris à parti...

J'invite à la discussion, pas à la critique les uns des autres. Rien ne change chez certains semble t-il.

jedisjeux
By Blue | 3 avr. 2014 à 23:03

en tant que geek totalement à côté de la réalité, je me marre à ce jeu, mais ça doit être parce que je suis un salle geek ça et que je considère ce jeu comme un jeu d'ambiance (encore que le jeu d'ambiance n'a pas le monopole du fun et de la rigolade, mais c'est un autre débat).

Je suis donc passé à côté du jeu, la prochaine fois, j’essayerai de le prendre très sérieusement.

et désolé d'avoir été sir présomptueux à ton égard, j'ai tord, j'ai mille fois tord !

jedisjeux
By Blue | 3 avr. 2014 à 22:12

je suis surpris que tu ne trouves pas d'humour dans ce jeu, il est fun au possible, tu as du passé à côté du jeu je pense, limp.

Il ne ressemble vraiment pas aux autres Feld, justement de par son approche du thème et du manque de sérieux du jeu.

jedisjeux
By limp | 3 avr. 2014 à 17:12

Je suis étonné que tu trouves que ce jeu est marrant ou qu'il y a de l'humour dedans.

Pour y avoir joué, je n'ai pas eu cette impression. Il est certes, tout comme Amerigo selon moi, moins ciblé "gros joueurs" que les autres jeux de l'auteur et plus thématisé, mais il n'est en rien "fun", ni par ses mécanismes, ni par sa thématique.

Me demandent ce qu'en pensent les autres personnes.

Bon petit jeu au passage, mais je lui préfère justement par exemple Amerigo...

jedisjeux
By soudeurbatteur | 4 avr. 2014 à 10:08

:roll:

jedisjeux
By Le Roy | 5 avr. 2014 à 16:25

Histoire d'en revenir au jeu, moi, j'aime bien. Merci au Zep pour ce reportage qui cadre bien avec l'ambiance ressentie autour d'une table de URUE (à mon avis). Pour le reste, chacun ressent les choses à sa façon et un jeu ne peut pas plaire à tous. D'ailleurs, j'ai un mal fou à réussir à la sortir et je sens bien que, lorsque j'y arrive, la réaction des autres est souvent mitigée. Comme quoi!