Critique de Age of Empires III : The Age of Discovery

Depuis des années, les américanoludophobes vénérant le bois et haïssant le plastique, luttent avec acharnement contre les germanoludophobes, vénérant le plastique et haïssant le bois, les premiers se gaussant du goût des seconds pour le hasard et le chaos, les seconds raillant l'intérêt des premiers pour la gestion froide de cubes peints. Cette guerre picrocholine digne de celle que se livraient les petitboutiens et les grosboutiens chez Swift (je crois) prendra-t-elle fin un jour ? On peut légitimement en douter, mais Ages of Empires III pourrait être un prétexte à un armistice à ces luttes fratricides ; ou l'étincelle qui ravivera les braises de cette querelle millénaire (j'exagère peut-être un peu, là).

Matériel

Le matériel est digne d'un jeu « américain » : des figurines en nombre, un grand plateau, des cartes et des pions. D'ailleurs, le jeu a été édité par Tropical Games, qui n'est autre que la maison d'édition fondée par Glenn Drover, l'auteur de ce jeu, après la faillite d'Eagle Games. Des esprits chagrins n'hésiteront pas à remarquer que la couleur des Hollandais (l'orange comme il se doit, bien que l'époque de la découverte des Amériques soit antérieure à Guillaume d'Orange) est beaucoup trop vive, limite fluorescente et que ça ne fait pas ce genre de choses, voire même que la piste des scores est assez peu pratique à utiliser, encombrée qu'elle est de fioritures superfétatoires et surtout beaucoup trop étroite. Des personnes à la vue basse sans doute auront du mal à distinguer les différentes figurines de spécialistes : oh, quand même, c'est pourtant fort simple ; le monsieur qui porte un fardeau est un colon ; le monsieur bedonnant avec une croix est le missionnaire (la personne qui a sculpté les originaux a dû plus s'inspirer des moines du Nom de la Rose que des Jésuites de Mission) ; le monsieur coiffé d'une salade et pointant un fusil est un soldat ; le monsieur soulevant sa bourse au niveau de sa poitrine est un commerçant (il n'y a qu'un commerçant pour adopter ce genre de posture) ; le monsieur armé d'une longue vue est un capitaine et enfin les bateaux sont des bateaux bien entendu. Alors, fastoche, non ? On pourra enfin regretter que la boîte manque quelque peu de rigidité, mais le tout est de fort bonne facture au demeurant.

Règles

Les règles auront assurément un petit goût familier à ceux qui connaissent Caylus (comment, vous ne connaissez pas Caylus ma bonne dame ? allons donc !), Leonardo da Vinci, ou encore les Piliers de la Terre. Car oui, les règles de ce jeu sont dignes de celles qu'affectionnent les petitboutiens, pardon, les germanoludophiles (qui ne sont pas forcément américanoludophobes, tenez, moi, par exemple). Pensez donc : chaque joueur dispose de colons qu'il va poser, chacun son tour, sur une case. L'ordre du tour fait également l'objet d'une case sur laquelle on peut poser un colon pour jouer dans un autre ordre le tour suivant (si ça ne vous fait pas penser à Caylus, ça). Une fois ceci terminé, on résout les actions, selon le principe du « premier arrivé premier servi » ou du « le majoritaire gagne le bateau », voire encore « poussez pas, c'est moi qui vais voir les Indiens d'abord ». Alors évidemment, si vous êtes un fanatique du jeu du même nom sur ordinateur, vous n'allez pas retrouver vos petits, ça non (bon, cela dit, je ne connais pas le susdit jeu sur ordinateur, mais la susdite sentence est assez couramment admise). Ceci étant dit et étant posé, attention : on peut faire la guerre, eeeh oui. Bon, ce n'est sans doute pas le meilleur moyen de gagner, surtout si on la fait à outrance et si l'on ne fait que cela. Mais avis donc aux âmes sensibles (déjà qu'on explore les terres aux dépends des Indiens). Ensuite, il y a une part de hasard certaine, notamment dans la découverte des régions nouvelles : une partie serrée pourra très bien se gagner ou se perdre sur une découverte audacieuse ou sur un échec cinglant infligé par des Indiens plus nombreux qu'on ne l'aurait pensé. Mais cela ne changera pas fondamentalement le fil des parties. Enfin, les bâtiments sont assez déséquilibrés : cela récompensera les joueurs qui pourront les choisir parmi les premiers et qui auront su avoir les finances suffisantes. Arriver à trouver une bonne combinaison de bâtiment peut être un clef vers la victoire, mais les autres joueurs seront là pour vous mettre des bâtons dans les roues, les bougres.

Durée de vie

Comme c'est le cas de maints jeux, la durée de vie, ici, dépendra de l'aptitude des joueurs à se remettre en cause, à essayer de chercher de nouvelles stratégies, à être inventifs dans leurs tactiques, bref, à renouveler leur façon de jouer. En effet, les événements aléatoires qui apportent de la variété aux parties (pioche des marchandises, répartition des tuiles découvertes, ordre d'arrivée des bâtiments) n'ont que des impacts relativement limités sur le déroulement des parties et seront plus là pour aiguiser les aptitudes tacticiennes que stratèges. Même si la clef de la victoire est un développement équilibré sur toutes les sources de points du jeu, certains auront sans doute envie de se fixer des objectifs de partie, comme développer leurs colonies, ou faire de nombreuses découvertes, ou stimuler leur économie pour être le maître des bâtiments, voire même livrer une lutte sanguinaire et sans merci à leurs petits camarades. Notons également que comme pour nombre de grands jeux, le nombre de joueurs affectera sensiblement le déroulement des parties et les stratégies : une « recette » se relevant relativement efficace dans une certaine configuration pourra perdre de son intérêt dans une autre. C'est criant pour Puerto Rico, c'est assurément vrai ici : si à 3 on trouvera facilement un travail varié pour tous ses colons, il n'en ira pas de même à 5 où l'on aura plus de luttes acharnées et où les découvertes iront, forcément, beaucoup plus vite. A vous de trouver la configuration que vous préférez, s'il y a effectivement des raisons d'accorder ses faveurs à l'une plutôt qu'à l'autre. Mais c'est assurément un bon moyen de renouveler le jeu.

Le conseil de Jedisjeux

C'est un des jeux à la mode en cette fin d'année 2007, et c'est très certainement justifié. L'engouement qu'il suscite est peut-être justement lié au fait qu'il fédère, osons le mot, les deux principales écoles de pensée ludique. Néanmoins, il ne fera pas l'unanimité (quel jeu la ferait ?), certains y voyant un Caylus moins contrôlable « alors autant jouer à Caylus, non ? », d'autres n'y trouvant pas assez de pif-paf-pouf « on ne va quand même pas utiliser nos beaux petits soldats comme de vulgaires cubes, non ? ». Mais si vous n'êtes pas aussi tranchés dans vos goûts, il y a de fortes chances que Age of Empires III vous plaise, sauf si bien sûr vous comptez y retrouver la saveur du jeu PC : ce jeu est savoureux, mais par des ressorts différents (oui, un ressort, c'est très savoureux, demandez donc à Nono, le robot héros cadeau d'Ulysse pour Télémaque son fils).

Avis de la rédaction

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Un très bon jeu qui niveau matos vous en donne pour son prix. Le seul hic, c'est que vous soyez d'une des deux écoles sus-mentionnées, vous risquez comme moi de lui préférer "Caylus" ou "Les Piliers de la Terre" pour telle ou telle raison. Caylus est plus riche et plus tactique et bizarrement "Les Piliers de la Terre" me font plus entrer dans le thème du jeu et a un hasard à mes yeux beaucoup mieux imbriqué avec le reste des mécanismes. Tout ça fait qu'au final, même si j'aime "AoE III", je lui préfère les deux autres et avertis donc qu'il risque de ne pas être sorti si vous avez ces deux autres jeux ou d'autres encore à la mécanique avoisinante.
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Beaucoup de jeux dans le genre. Le hasard inclus dans celui-ci et la lisibilité et le côté pratique de son plateau de jeu en font un bon jeu, qui reste juste moyen. Pas certain non plus que les tactiques différentes soient nombreuses. Seul plus : le thème du jeu est un peu plus présent que dans les autres jeux de placement "à la Caylus".
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