Critique de Le Marché de Samarkand

Krok Nik Douil éditions nous propose de nous rendre au souk pour y faire affaires.

Nous allons donc y vendre nos étoffes, nos bijoux et nos épices, et même pouvoir devenir un vrai marchand de tapis...

Mais "marchand de tapis" n'est pas un titre glorieux dans la bouche d'un Capitaine Haddock, et le souk peut s'y transformer en "souque" et signifier "ramer énergiquement".

Bref, nous n'allons pas vous faire un dessin et allons essayer de voir avec vous si ce jeu prend l'eau, nous mène en bateau ou s'il est un désert de défauts, une oasis de fraîcheur...

Matériel

Une fois la boîte en main, on apprécie d'en remarquer la taille qui n'a rien de démesurée et qui ne prendra que la place qu'elle doit prendre.

Comme pour le premier jeu de l'éditeur, la couverture est magnifique et les informations en quantité tout en apportant une impression d'aéré.

Une fois de plus également, l'illustrateur est mis en avant, tout comme l'auteur: ça parait tellement normal de voir leur nom mis en avant, mais c'est tellement rare.

Autre point significatif s'il en est, après Jaipur (surfant sur un thème similaire mais sur des mécaniques totalement différentes), de l'auteur de Yspahan, nous avons droit à un nouveau français mettant en avant des chameaux: Ystari va devoir bosser pour conserver sa main mise sur l'animal !

Car les chameaux sont présents sur la boîte... et sur les cartes. Ces dernières sont très réussies et nous font voyager jusqu'en orient (on sentirait presque l'odeur des épices illustrées sur certaines d'entre elles). Leur taille est assez grande, ce qui permet un réel confort de jeu. Si elles ne sont pas toilées, il n'y a rien à redire sur leur qualité. De plus, l'utilisation qu'il en est fait ne devrait pas les mettre à trop rude épreuve.

Les pièces, présentes en trois différentes valeurs, sont de bien beaux dirhams cartonnés, très agréables à l'emploi.

Chose innatendue eu égard de la taille de la boîte : des écrans sont également à disposition des joueurs. Beaux et assez grands, ils vont jusqu'à proposer une scène certes identique, mais des dessins tous différents et dans les tons de couleurs proches de ceux des couleurs des cartes qu'ils doivent accompagner.

On aurait rien trouver à redire si la blancheur immaculée de leur partie intérieure avait été comblée par d'aussi beaux dessins, accompagnés d'un récapitulatif de règle, ou au moins de décompte...

Ce point-là sera la seule partie chagrin que nous donnerons au matériel, la règle du jeu, dernière pièce pas encore passée au crible, étant parfaite graphiquement.

Règles

Le livret de règles se déplie en trois pour nous présenter un joli descriptif du jeu, thématiquement et mécaniquement parlant. Il vous suffira donc de 6 pages, rapidement lues, pour vous familiariser avec les règles du jeu.

Présentes en français uniquement, on peut retrouver ces dernières en différentes langues sur le site de l'éditeur, comme précisé sur la boîte. Ça permet de ne pas gaspiller de papier, c'est pas plus mal pour la planète et ça permet à la maison d'édition une petite économie qui se répercute sur la beauté du jeu ainsi que son prix.

En détaillant le livret, on prend plaisir à n'y déceler aucune faute d'orthographe. C'est normal, penserez-vous. Oui, mais c'est tellement rare dans notre univers ludique que ça en devient notable et que ça fait assez plaisir pour être signalé.

Une fois le thème posé (en accord avec les mécanismes: un autre bon point), il nous est présenté le matériel du jeu en détail (sauf pour les valeurs des cartes, ce qui est dommage car même si on possède le même jeu de cartes en début de partie, on n'a nul endroit -pas même sur les écrans des joueurs, comme précisé-, le décompte des points tend à connaître en détails le nombre de chacune présente, selon la configuration).

Ce sera le seul léger reproche à souligner.

Le reste de la règle est un summum de clarté, bien aéré et découpé en différents actes, permettant à chacun de s'y retrouver au besoin (mais vous n'aurez normalement pas besoin de relire la règle durant vos parties). Des illustrations la parsèment, pour le plaisir des yeux (car si des exemples sont donnés, leur évidence ne donne aucune nécessité d'illustration pour les appuyer).

La phase de "dispute" aurait à la limite demandé à être plus claire, mais chaque tablée pourra la jouer à sa convenance, selon la teneur qu'elle veut apporter au jeu (nous vous proposons notre façon de la gérer dans la rubrique "conseils", nous permettant de changer un petit point de règle qui pourrait en gêner quelques-uns).

Une variante est aussi mise à disposition et consiste simplement à cacher les cartes obtenues: si elle semble anodine et ne rend pas le jeu meilleur, elle ne le rend pas moins intéressant non plus et donne une approche différente. Jouez donc parfois avec, parfois sans et vous remarquerez que le jeu s'en trouve changé: c'est plutôt un bon point.

Pour ce qui est de la règle en elle-même, on a ici droit à un jeu d'enchères. Et le soucis des jeux d'enchères, c'est que parfois ils sont froids et bien trop calculatoires.

Samarkand a la bonne idée de proposer un système d'enchères inversées (on propose les cartes pour une valeur de 10 pièces, puis on baisse cette valeur à 9, on la diminue ensuite encore d'un et ainsi de suite jusqu'à ce qu'elles trouvent acquéreur). Ça rend le jeu dynamique et fun et permet de recréer l'ambiance des souks. Ce fun et cette prise de risque (j'attends encore un peu au risque de me faire souffler la carte ou j'achète maintenant) n'entachent même pas pour autant le côté tactique du jeu. Car il vous faut penser à prendre des cartes de toutes les couleurs, tout en vous spécialisant dans une si vous voulez avoir le plus de points. Et les valeurs sont aussi à prendre en compte: les grosses promettent un gain de points important et sont plus rares que les petites, qui pour compenser, peuvent vous donner des points bonus si vous parvenez à en avoir beaucoup d'une même valeur...

C'est simple et rempli de compromis. Et ce d'autant plus que vous devez récupérer des cartes chameaux en même temps que vos cartes marchandises. Ces dernières permettent de transporter les cartes que vous venez d'acquérir (en fin de partie si vos cartes chameaux ont en tout une valeur de 7, vous ne pouvez conserver que 7 de vos cartes marchandises achetées, mais toute place sur vos chameaux laissée vide en fin de partie vous coutera 2 points de victoire: là aussi, il faudra bien gérer...)

Quant à l'argent, bah, il tourne entre les joueurs: il ne faut donc pas trop enrichir les autres qui dicteraient alors les enchères (et puis les joueurs les moins dépensiers seront récompensés en fin de partie). Seuls les achats de chameaux se font auprès de la banque: ainsi, en fin de partie, la monnaie se fait plus rare et la tension s'amplifie...

Au final, une règle très bien rédigée et qui tourne à la perfection. Certaines précisions manquent sans pour autant nuire au jeu, qui reste mécaniquement parlant sans faille...

Durée de vie

... même pas de faille au niveau de la rejouabilité !

On pourrait craindre des phases de jeu répétitives ou une profondeur bien trop légère.

Mais il n'en est rien: les tours de jeux sont tendus et prenants, à tel point que la partie reste rythmée de bout en bout (on peut même lui astreindre le tempo de son choix) et les choix tactiques et cruels. Le guess présent dans le jeu, à faible dose, vient encore améliorer tout ça.

On peut y jouer en famille ou entre gros joueurs; on s'apercevra des multitudes de tactiques pour réussir un gros score (et comment nuire aux joueurs en tête).

Le calcul des points, qui peut paraître complexe ne l'est finalement pas et donne tout son sel au jeu, qu'on joue avec les cartes acquises (sauf les chameaux) devant ou derrière son paravent.

Nul besoin d'extension dans ce petit jeu d'enchères qui a tout d'un grand et qui réussit à donner de l'ambiance en restant stratégique. Cependant, la pureté de ses mécanismes pourrait laisser de la place à des ajouts le cas échéant.

Qu'on ne s'y trompe pas: pour ce prix, ce format de boîte, cette durée de partie et cette facilité de prise en main, on ne peut qu'applaudir.

Bien des jeux auront une rejouabilité supérieure, mais ces derniers seront réservés à une élite et dureront de longues heures, après une difficile digestion des règles.

Samarkand, c'est un jeu fun, familial, léger, et pourtant tout autant appréciable par les puristes...

Le conseil de Jedisjeux

La phase de dispute peut sembler manquer de clarté ou paraître injuste.

Il faut d'abord préciser que les joueurs doivent dire "stop" et désigner leur carte en même temps: il est donc normalement pas possible de changer sa décision suite à un même choix de la part d'un autre joueur.

Mais perdre la carte qu'on voulait en perdant de l'argent est bien dur.

C'est pourquoi nous vous proposons cette variante: "lors d'une dispute, c'est le doyen qui choisit lequel des joueurs achète la carte. L'autre joueur peut s'il le souhaite acheter une autre carte au même prix avant que ne reprennent les enchères."

Une stratégie peut être de priver certains joueurs des cartes qui leur donneraient des points en provoquant une dispute (la carte sera défaussée et le joueur n'en paiera que la moitié de la valeur de base). Si vous voulez pouvoir conserver cet aspect du jeu ajoutez ceci à la proposition faite ci-dessus: "Le joueur choisi par le doyen peut toujours refuser l'achat: la carte est alors défaussée et les deux joueurs ayant provoqués la dispute paient la moitié de la carte à son possesseur, comme spécifié dans les règles."

Et si vous souhaitez plus d'interaction, ajoutez même ceci: "les deux joueurs en conflit peuvent graisser la patte du doyen en lui proposant de l'argent (à vous de choisir de quelle façon jouer cette action) pour être choisis par ce dernier".

Le jeu devient alors une véritable perle.

De plus, plutôt que de crier "stop" (ou pour accompagner ce cri), il peut être intéressant de proposer que les joueurs doivent poser leur main (ou leur deux mains s'ils veulent deux cartes à ce prix: autre possibilité de variation que de pouvoir acheter plusieurs cartes au même prix) sur la carte voulue. On peut même décider de juger les disputes à la "jungle speed": le joueur étant le plus sur la carte est prioritaire (on peut même encore ajouter que l'autre peut lui proposer de l'argent pour acheter la carte. Si le premier joueur refuse, il DOIT alors l'acheter).

Bref, si le jeu est très bon, comme précisé plus haut, il peut aisément être varié à volonté... pour le plaisir de tous.

Avis de la rédaction

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Le problème majeur des jeux d'enchères, surtout quand il ne s'agit quasiment que du seul mécanisme du jeu, est qu'ils peuvent être froids, mécaniques ou trop calculatoires (ce fut par exemple mon ressenti sur le pourtant très apprécié "Art Moderne", qui reste un bon jeu toutefois). Samarkand réussit à se démarquer de tout ça par un système d'enchères plus dynamique, plus sympa, presque fun si on prend le jeu par un certain bout et qui en plus se paie le luxe de bien coller au thème. Les règles sont simples et les parties rapides. Les illustrations sont réussies, la boîte est proposée à un format idéal et le jeu est fin et intelligent. Une envie de reviens-y s'en dégage après les premières parties qui montrent bien que plusieurs façons de jouer peuvent être mises en place. Du costaud dans du léger, ça fait plaisir. Une bien belle réussite!
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