Critique de Lords of creation

Vous êtes un dieu… mais si !

Cependant vous n'êtes pas unique et avec d'autres collègues tout aussi divins que vous, vous avez décidé de créer un monde, avec des montagnes, des mers, des collines, des prairies, tout ça quoi… puis ensuite, vous le peuplez ce monde, avec des barbares bien décidés à en découdre avec d'autres barbares défendus par vos potes dieux.

Et pour corser le tout, rien de tel que d'injecter une étincelle de civilisation, histoire d'en rajouter un peu plus au bazar ambiant… et oui, les dieux aussi aiment s'amuser.

Tel est le thème de Lords of creation, un jeu créé en 1993 par Martin Wallace.

Matériel

Des cartes, des jetons et des tuiles cartonnés, un plateau, un livret de règles en anglais et en allemand, 3 dés (2 rouges, un blanc) et puis c'est tout.

Ah oui, nous faisons là dans la simplicité. Le plateau un peu tristounet représente une étrange planète plate et hexagonale, elle-même découpée en hexagones : Bon, après tout, les dieux font comme ils veulent hein…

Les tuiles terrains (7 types de terrains différents, dont 3 qui ne peuvent recevoir de population, à savoir les montagnes, les déserts et la pleine mer) sont plutôt fines, tout comme les jetons ronds à peine plus gros que des confettis.

Ces derniers représentent au recto un « barbare » (si, si, il a un gourdin), au verso un « civilisé » (si, si, il lit un papyrus) et quelques-uns un autel d'où s'échappe un peu de fumée. Vous allez rire, mais au lieu d'autel, j'y ai vu la première fois un mexicain recouvert d'un poncho, avec un grand chapeau sur la tête, assis par terre, et fumant un cigarillo tout en faisant la sieste...oui c'est bête, mais j'ai la vue qui a un peu baissé pour voir de près. Les cartes (nombreuses) représentent les divers terrains « praticables », à savoir les collines, les prairies, les îles et les forêts…Bon, soyons clair, c'est un matériel « à l'ancienne », mais le vrai problème, c'est qu'il est vivement déconseillé d'avoir de gros doigts pour manipuler tout cela en cours de partie.

En effet, il faut avoir le geste délicat et léger pour déposer les jetons peuples et les déplacer sans faire bouger les tuiles terrains qui recouvrent intégralement le plateau. De plus, ces tuiles en question sont carrées, alors que leurs emplacements sur le plateau sont hexagonaux... oui, ça donne pas un effet terrible quoi.

Bref, le matériel est un peu daté et pas très ergonomique.

Règles

Et bien pour un jeu de Martin Wallace, nous pouvons dire que nous avons là des règles claires et pas bien nombreuses... certains se diront donc « Ah, ok… c'est donc sur les jeux suivants que ça s'est gâté »... tss, tss, tss !

Je rappelle les principes du jeu : une partie, c'est deux grandes phases.

Tout d'abord, les joueurs sont invités à « construire » le terrain de jeu (ben oui, nous sommes des seigneurs de la création, pas des fainéants qui arrivent sur un plateau déjà tout près) ; cela implique qu'à tour de rôle, chaque joueur tire une tuile terrain au sort et l'installe à l'emplacement qu'il veut sur le plateau.

Pas de règles particulières sur la pose, mais la possibilité de faire un petit peu de « rétention » (jusqu'à 3 tuiles) pour les placer plus tard...ou pas du tout.

Une fois le plateau rempli (il restera des tuiles qui ne seront pas utilisées pendant la partie), on commence la seconde phase : la conquête de territoire. Ayant reçu 7 cartes en début de partie, chaque joueur en sélectionne secrètement une, puis les joueurs retournent simultanément leurs cartes sélectionnées.

Selon un ordre précisé dans les règles, variable selon les cartes choisies par les joueurs, chacun va alors pouvoir poser des jetons peuples sur un ou plusieurs terrains (dont la nature est indiquée par la carte jouée) et effectuer diverses actions, dans un ordre de son choix.

Le joueur en phase peut déplacer des jetons peuples et attaquer, autant de fois qu'il veut ou qu'il peut. Pour les déplacements, une unité ne peut se déplacer que sur des terrains de nature identique, et on ne peut laisser un territoire vide derrière soit. Les unités présentes sur les îles sont les seules à pouvoir franchir une et une seule tuile pleine mer, mais sans pouvoir s'y arrêter. Les déserts et montagnes sont absolument infranchissables.

Les combats se font aux dés, selon des règles simples avec jets simultanés,

mais attention : le tour du joueur attaquant s'arrête s'il vient à faire un double sur un lancé. Je précise que l'attaquant jette toujours deux dés, le défenseur un seul, et ce dernier « touche » si son dé est supérieur à la valeur de chacun des deux dés de l'attaquant.

Si les hexagones concernés sont des terrains de natures différentes, cela influe aussi sur les possibilités de « touche » de l'attaquant : celui-ci doit faire au moins 6 pour des terrains identiques et 8 dans le cas contraire. Des terrains différents ne changent rien en revanche aux conditions de « touches » du défenseur.

Le joueur en phase peut aussi civiliser les jetons peuples (mais une fois par tour) d'un hexagone, que ces derniers lui appartiennent ou non…mais les jetons « civilisés » perdent le droit d'attaquer (important : on ne peut donc faire la guerre qu'avec des unités barbares), ou bien encore construire un autel (pas un mexicain assoupi donc), action possible là aussi une fois par tour, uniquement sur un hexagone d'unités « civilisées » (et au prix d'un jeton civilisé qui revient dans votre réserve).

Les cartes jouées sont définitivement défaussées et chaque joueur recomplète sa main.

La partie s'arrête dés que les joueurs n'ont plus de carte en main, ou bien, une fois la pioche épuisée, lorsque deux joueurs ou plus ont joué des cartes identiques (mais on termine alors le tour). On fait alors des comptes, fort simples d'ailleurs : Un point pour un hexagone occupé avec des barbares, deux point pour un hexagone contenant des civilisés, trois points pour un hexagone avec un autel.

Bon, tout cela pourrait paraître bien banal aujourd'hui, et même à l'époque, on aurait pu trouver qu'il manquait là un peu d'originalité...seul le coté "civiliser ou pas" ressort un peu de l'ensemble. Maintenant, les règles sont peu complexes et assez précises, ce qui permet de se lancer rapidement dans une partie, et c'est déjà ça.

Durée de vie

Voici une question fort délicate.

Bon, soyons franc, inspiré du célèbre « Risk », le jeu est assez répétitif et les parties sont un peu trop longues par rapport aux mécanismes proposés. En effet, la durée indiquée sur la boîte (2 à 3 heures) est bien réelle, et le coté « on choisit secrètement une carte, on révèle les cartes, on pose des pions, on déplace des pions, on jette éventuellement des dés, on civilise éventuellement un hexagone, on construit éventuellement un autel, on pioche une carte, on choisit secrètement une carte, on révèle les cartes, on pose des pions, etc… » peut lasser au bout d'un moment : Songez que par exemple à 4, il y aura, au minimum, 22 ( !) tours de jeu.

La première phase (construction du plateau) est, surtout quand on découvre Lords of creation, un brin ennuyeuse et déstabilisante. On ne sait pas trop quoi faire exactement (Faire des grands territoires ? Des petits ? Et pourquoi faire ?) et surtout, il faut placer au total 91 tuiles ! Dans une configuration 5 joueurs, il faudra donc faire 18 tours de table pour remplir le plateau…il est précisé que « l'idée est de donner à tous les joueurs le contrôle sur la formation du monde » avec des sous-entendus stratégiques, mais cette looooooonnnnngue phase laisse quand même bien perplexe tant elle est chaotique.

Vers les deux tiers de la partie, les positions commencent à se solidifier, et les conflits deviennent surtout frontaliers. Les combats peuvent être parfois un peu longuets, pas toujours très passionnants et faire naître un peu de lassitude lorsqu' il y a beaucoup d'unités engagées (pas de limite d'empilement prévue…on peut envisager alors une variante maison) ou quand les joueurs ne « touchent » pas régulièrement et qu'en plus l'attaquant ne fait pas de double (règle bienvenue). Si les joueurs sont très agressifs, il y aura donc beaucoup de jets de dés.

Toutefois, Lords of creation n'est pas exempt de subtilité et d'astuce, loin de là.

Un exemple, l'action « Civiliser » : Au début, on joue que des barbares, et puis un joueur peut décider soudainement de « civiliser » toutes les unités présentes sur un hexagone. Cela fixe un peu les joueurs pour la suite car dans les tours suivant, on ne pourra, règle très importante, civiliser des unités que si elles sont sur un territoire lui-même adjacent à un territoire civilisé. En d'autre terme, la « contamination » civilisatrice se répand à partir d'un premier hexagone et on comprend tout de suite qu'il ne faut pas être trop loin de la toute première civilisation (sauf si bien sur, celle-ci venait à être annihilée) si on veut avoir plus ou moins rapidement autre chose que des unités barbares. On a donc là un problème d'opportunité (dois-je civiliser maintenant et le premier ?) et de placement qui donne une bonne dose de suspense à la partie et des considérations stratégiques pas inintéressantes, avec en prime la possibilité de petites fourberies assez rigolotes.

Un plateau jamais identique devrait faire qu'une partie ne ressemble pas à une autre, mais une seule partie de Lords of creation permet quand même de voir tous les aspects du jeu et il n'y a pas 36 stratégies possibles : conquérir à outrance et civiliser un peu, civiliser souvent, faire plein d'autels et tenir ses acquis, essayer faire les deux d'une manière équilibrée...(vous en voyez une autre ?) Donc la majorité des gamers avertis y jouera peut-être une ou deux fois, mais pas plus.

Cependant, avec ses règles assez simples, le jeu peut être proposé sans trop de problème à des joueurs occasionnels, voire quasi-novices, à condition de bien les prévenir à propos de la durée probable de la partie.

Cela dit, on ne peut s'empêcher de penser que c'est un jeu d'une autre époque, assez éloigné des standards d'aujourd'hui, et à ne pas présenter à des allergiques aux dés !

Le conseil de Jedisjeux

Dans les règles, il est précisé qu'il faut éviter de civiliser trop tôt, pour éviter des situations trop statiques. Mais il ne faut pas civiliser trop tardivement non plus, car n'oubliez pas que les hexagones civilisés peuvent vous rapporter beaucoup de points en fin de partie.

Vous pouvez aussi civiliser des unités adverses : Vous donnez potentiellement des points à votre adversaire certes, mais vous lui coupez ainsi « les ailes » si vous sentez qu'il envisageait une action militaire contre l'un de vos territoires.

Ne perdez pas de vue cependant qu'on ne peut civiliser qu'une fois pas tour, un seul hexagone, et adjacent à un hexagone déjà civilisé. De même, construire un autel, c'est une fois par tour.

Si vous êtes pas l'initiateur de la première civilisation, faites attention si possible de pas être trop loin ou trop isolé, sinon vous risquez de devoir attendre un moment avant de pouvoir civiliser votre premier hexagone.

En attaque, un double au dé (résolu quand même) met fin à votre tour ! Il faut donc avoir préalablement réaliser certaines actions que vous envisagiez (déplacer, civiliser, construire un autel) avant de vous lancer dans un combat, afin d' éviter toutes mauvaises surprises

Détruire un autel adverse, c'est faire perdre un potentiel de 3 points, soit l'équivalent de 3 hexagones occupés par des barbares.

Essayez de gérer correctement votre main de cartes…veillez à avoir une certaine logique dans vos placements d'unités par rapport aux cartes que vous avez en réserve.

Jouer la « dispersion » vous assure de pouvoir jouer n'importe quelle carte mais vous fragilise, jouer « le bloc » peut vous limiter dans vos choix de cartes, mais vous permettra de mieux vous défendre.

Évitez de vous concentrer sur un seul type de terrain, sinon vous prenez le risque à un moment donné de vous retrouver avec des cartes… inutilisables.

Il est possible d'occuper des territoires bien à l'abris des autres joueurs grâce aux frontières naturelles, mer et surtout montagnes et déserts. Des autels derrières une chaîne de montagnes par exemple ne risquent plus grand chose, et une zone géographique entièrement « fermée », si vous en occupez tous les territoires, assure une sécurité totale et définitive… encore faut-il qu'une telle zone existe.

Avis de la rédaction

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Si on se penche sur l'œuvre de Martin Wallace, il faudra surtout retenir de Lords of Creation qu'il est son premier jeu édité. Pour le reste, on ne peut pas dire que nous avons là un jeu indispensable dans une ludothèque d'aujourd'hui, sauf évidemment pour les fans du maestro. Un matériel dépassé et surtout des parties trop longues par rapport aux mécanismes proposés font de Lords of Creation un jeu auquel on joue une fois pour voir, mais de là à générer l'envie d'y revenir... Certes, il contient quelques aspects qui peuvent attirer l'attention, et il y a même un petit côté rigolo, mais c'est insuffisant pour susciter l'enthousiasme. Mieux équilibré dans ses phases et avec une durée plus courte, ce dérivé du Risk y aurait surement gagné. Mais bon, Martin a fait beaucoup mieux depuis...
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