Critique de Prêt-à-porter

Quand chez Jedisjeux on a la chance de recevoir le prototype d'un jeu deux mois avant sa sortie, et que ce dernier est le fruit d'une collaboration entre un grand auteur et un éditeur ayant fait tout autant de bons jeux, on se dit qu'on a de la chance quand même...

Juste avant sa présentation lors du salon d'Essen, voici rien que pour vous un compte-rendu de ce que nous a donné comme impression Prêt à Porter.

De mémoire, le dernier jeu reçu en prototype avant un salon d'Essen, c'était Vasco De Gama, qui obtint ensuite le prix du meilleur jeu du salon.

C'est tout le mal que l'on souhaite à "Prêt-à-porter"...

Matériel

Cette partie là va être la plus délicate à analyser. Effectivement, nous n'avons donc pratiqué le jeu qu'avec du matériel non définitif.

Mais nous allons tout de même pouvoir vous donner une bonne idée de la chose.

La boîte du jeu est donc dans un format carré assez traditionnel. Le même que celle de Neuroshima hex, du même éditeur, soit un peu plus compact que la majeure partie des autres grosses boîtes carrées.

Les informations classiques (durée -nombre de joueurs- âge conseillé) ne se retrouvent, en tous cas sur l'exemplaire sous nos yeux, que sur le dos de la boîte, qui propose un texte d'ambiance dans un encadré blanc, laissant en arrière plan une illustration du matériel de jeu.

Mais la chose est justement pas assez mise en avant, ce qui est regrettable. Ajoutée au thème et à l'illustration de couverture, neutre sur ce point, on peut même arriver à imaginer avoir entre les mains un jeu grand public, proche des Monopoly et autres jeux du genre.

Et comment vous dire... bah, pas du tout en fait.

A l'intérieur, on a droit à un plateau de jeu, qui se déplie en quatre et qui cache un matériel de jeu plus qu'abondant, composé de cartes de diverses tailles, de pions et de jetons en tous genres.

Nous passerons sur la qualité de tout ça pour les raisons que vous savez (mais y reviendrons sûrement quand nous possèderons une boîte "définitive") mais pouvons vous en dire une nouvelle fois davantage car le contenu n'a depuis pas bougé, que ce soit au niveau du design qu'à celui des pinceaux.

Le plateau de jeu est lisible et donne assez d'informations pour ne pas se replonger dans les règles pour ce qui le concerne. L'arrière plan pourra cependant déplaire, donnant une impression de trop chargé. De plus, si ce jeu de pose d'ouvriers possède une phase de pose et une autre de résolution, les joueurs résolvant leurs actions zone par zone, on déplorera que l'agencement de celles-ci ne suive pas l'ordre dans lequel elles sont activées : la première et la dernière auraient mérité d'intervertir leur place. L'ergonomie a dû empêcher ça.

Tient, vous saviez que "ergonomie" vient du grec "nomos" qui veut dire "Règles" ?

On détaillera plus en profondeur les mécanismes du plateau de jeu dans la section qui leur est consacrée, bien entendu.

Chaque joueur possède un petit plateau individuel qui lui montre la spécialité de vêtement qui lui est propre et sur lequel il placera les jetons qu'il remportera. deux autres y seront constamment, oscillant sur une échelle qui leur mettra en évidence, histoire de ne pas avoir à calculer à chaque fois, les dépenses trimestrielles dues aux employés possédés et aux bâtiments construits.

Ces derniers sont représentés sous forme de petites cartes (de la taille de celles qu'on retrouve dans les petites boîtes en métal de chez Hazgaard) rectangulaires et seront placés sous et à côté de ce plateau. Chacune possède un nom mais des pictogrammes ont été préférés aux textes explicatifs. Le nombre de cartes différentes de ce type étant important, il faudra s'habituer à ces pictos et parfois même lire les règles du jeu pour parvenir à les comprendre.

De même, ces cartes possèdent sur leur verso une version améliorée de leur capacité, que vous pourrez obtenir moyennant finances, mais qui n'est pas évoquée sur l'autre face. Il faudra donc la consulter pour savoir ce qu'il en est.

Au fil des parties, on finira par retenir la plupart de ces capacités, permettant de moins hacher la cadence des tours de jeu.

Les autres cartes ont un format plus habituel et si celles représentant les villes où se dérouleront les défilés (10 cartes, dont Paris) sont réussies, celles mettant en avant les mannequins et les habits à leur créer sont moins attirantes (malgré les petites culottes -penser à effacer cette parenthèse avant validation ndlr-). Cela dit, elles ont tout de même l'avantage d'être très lisibles. et comme plusieurs informations y figurent, on ne va trop se plaindre.

On passera sur les cubes et les divers autres jetons, qui remplissent parfaitement leur rôle.

Le bilan est plus qu'honorable même si le caractère austère des cartes est à déplorer et que le design du plateau peut sembler avoir quelques minuscules lacunes.

Avec pareil thème, qui a au moins l'audace de s'aventurer dans des univers peu ou pas explorés, on pouvait s'attendre tout de même à plus sexy.

Edit : les règles du jeu étant dorénavant en ligne, on peut s'apercevoir que le plateau de jeu a légèrement changé et n'est pas le même que celui présenté ici en illustration, et en écrit. Un peu moins lourd à digérer, il a surtout gommé son défaut majeur, l'ordre des actions étant maintenant correctement agencé.

L'illustration des cartes que vous voyez dans cette critique est celle d'une version non-définitive, antérieure à celle du prototype que nous avons eu. Depuis, il n'y a plus de texte sur les cartes

Règles

La règle du jeu fait vingt pages, tout de même.

Bon, elle reprend aussi chacune des cartes et en explique les effets (dommage qu'au nom de la carte ne soit pas associée l'image).

Une partie se joue en un an : je ne vous avais pas encore dit que c'était un "gros" jeu ?

Pour être plus précis, le jeu se découpe en douze mois, 8 étant des tours de jeux classiques et 4 autres ne servant qu'à des décomptes auxquels se greffent des phases d'entretien qui s'ajoutent à celles présentes lors de chaque tour.

Car si le but est d'avoir le plus d'argent, force est de reconnaitre que vous allez en dépenser!

Vous allez embaucher des employés et construire des immeubles, et ça, ça se paie... et ça s'entretient, donc. Pour les améliorer aussi, il vous faudra allonger les billets et augmenter les salaires au passage. Tout se paie ici mon bon monsieur. Même les matières que vous allez acheter pour composer vos vêtements de mode. Et si vous pouvez en prendre à différents prix, la qualité n'est pas forcément la même.

Après avoir donné à chaque joueur deux premières cartes "modèle", la partie débute.

Les cartes modèles vous donnent le type de vêtement qui sera créé si vous parvenez à obtenir les deux ressources nécessaires ainsi que les gains lors du défilé (de l'argent, et parfois un jeton bonus). Ils appartiennent également à un genre, défini par une couleur précise.

La première phase d'un tour de jeu est basée sur un système de pose d'ouvriers des plus classiques, avec un nombre défini de places pour chacune des neuf zones. De plus, pour chaque zone, ce sera "premier arrivé, premier servi" (excepté celle où jouer en dernier est un avantage, qui se résout en ordre inverse d'arrivée). Du coup, essayer d'anticiper les envies des adversaires ou deviner quelle carte ne vous sera plus disponible et agir en conséquent sera salvateur.

Les joueurs vont donc pouvoir faire un prêt à la banque qui va leur permettre d'acheter massivement lors de ce tour mais qui demandera de payer des intérêts mensuels jusqu'au paiement obligatoire lors du prochain décompte où normalement vous vous serez renfloué. Vous imaginez bien que ne pas payer cette dette reviendrait à une perte lourde de points de victoire en fin de partie. A l'instar de pas mal de jeux (je pense à Funkenschlag), vous calculerez parfois au sou prêt vos choix d'actions et faire un prêt semblera bien souvent une étape obligatoire à un moment donné de la partie, surtout si vous vous basez sur une stratégie orientée "défilé"...

Les trois types de cartes de petit format ont chacun droit à leur zone d'emplacement.

Nous vous avons déjà parlé des employés et bâtiments, qui donnent toutes sortes de capacités et qui arrivent de façon aléatoire durant la partie (sauf lors des deux derniers tours : des cartes sont consacrées exclusivement à la fin de partie). On ne peut pas avoir plus de X+3 employés, où X est égal au nombre de bâtiments possédés. Le troisième est à peine différent : les contrats ne vous font pas dépenser d'argent, mais sauf carte en votre possession spécifiant le contraire, ne se conservent que jusqu'au prochain décompte.

Une zone permet de prendre des cartes modèles supplémentaires. Bien entendu, des cartes bâtiments vont vous permettre d'en obtenir sans vous rendre dans cette zone, ou d'en prendre davantage si vous y avez placé un de vos pions...

Il existe trois lieux différents pour acheter des ressources. Chacun possède un nombre d'emplacements limité, des tarifs propres et des conditions d'achats différentes.

Par exemple, vous ne pourrez acheter qu'un cube de chaque sorte maximum, ou ne prendre qu'un seul type de ressource... tout ceci pourra vous inciter à vous rendre deux fois dans un de ces mêmes lieux, et ce d'autant plus que vous pourrez peut-être gêner vos concurrents. Reste que plus vous choisissez un de ces lieux chers, et plus vous récolterez de jetons "qualité", puisque vous n'aurez pas acheté n'importe quoi.

Le dernier lieu permet de choisir entre différents gains (jetons, argent...).

A la fin d'un tour, on paie ses employés, bâtiments et prêts éventuels puis on défausse toutes les cartes du plateau, en met des nouvelles et on débute un nouveau tour.

Lors des décomptes, on va pouvoir envoyer des modèles défiler. Mais que ceux d'un même genre (couleur), sauf si des cartes vous permettent de changer cette règle. Il faut dépenser les ressources nécessaires et défausser les cartes. On gagne alors de l'argent et parfois des jetons (plusieurs domaines différents).

Ah mais à quoi servent ces fameux jetons ?

Et bien, dès le début de partie, et selon l'ordre des villes visitées, certains jetons vont rapporter plus ou moins d'étoiles (les villes privilégient par exemple d'abord la quantité, la réputation puis seulement la qualité... ou le contraire). Le joueur possédant le plus de jetons d'un type va recevoir des étoiles, le second un peu moins et les autres rien du tout.

Ces étoiles rapportent de l'argent... mais non utilisable. Bref, vous gagnez en fait des points de victoire car à la fin de la partie, on additionne ces points avec l'argent restant pour savoir qui est le plus riche et donc le vainqueur.

Pour éviter le "win to win", après chaque décompte, on perd tous ses jetons. De plus, certaines cartes vous en donnent un lors de chaque décompte ou vous font remporter les égalités... nous ne vous les détaillons pas toutes, car il existe de nombreux effets différents.

Pas trop de dépaysement donc : pose d'ouvriers, collecte de ressources et système de majorité.

Oui mais le thème parvient à être crédible et à donner un petit côté exotique bienvenu.

On parlait de Vasco De Gama en introduction de cette critique et on faisait bien, car ce jeu est de ce calibre là, peut-être même plus calculateur encore.

Rien à voir avec d'autres jeux de pose d'ouvriers plus familiaux : tout compter, surtout au début où les finances ne sont pas les plus fortes, reste essentiel.

A chaque trimestre ont lieu des défilés : le public, les médias et les experts estiment les collections sur quatre critères et décernent des prix et des diplômes sous forme d'étoiles, qui rapporteront de l'argent aux joueurs.

Durée de vie

J'avoue ne pas avoir fait suffisamment de parties pour avoir un avis ferme et définitif sur la chose, mais tout de même...

Le jeu est riche et très calculateur. Il apparait qu'il existe différents axes stratégiques, les deux principaux étant de jouer principalement sur les jetons et les majorités, avec des finances toujours fines mais sans avoir à passer par la case "prêts", ou au contraire à brasser de l'argent et s'occuper principalement à avoir des ressources et des cartes modèles pour faire des défilés qui rapporteront plus que le capital investi.

Bien entendu, on doit pouvoir faire une stratégie moins unilatérale, surtout qu'il faudra compter sur les cartes.

En effet, selon les cartes que vous aurez, vous pencherez plus sur telle ou telle façon de jouer. Si plusieurs joueurs jouent une même tactique, ils vont probablement cibler les mêmes cartes. Peut-être même prendrez-vous cette carte qui aurait plu aux autres et qui leur permettrait de rouler à sens unique. Et puis si les cartes existent en plusieurs exemplaires et que certaines se ressemblent, il ne serait pas bon d'attendre leur venue, qui peut osciller entre le premier et le sixième tour de jeu...

Bref, de nombreux chemins semblent mener à Rome, et le jeu fait qu'il faudra s'adapter plutôt que de jouer systématiquement à l'identique. Une bonne lecture des cartes (l'ordre des villes visitées pour savoir quels jetons seront les plus lucratifs, mais aussi les cartes offrant des capacités, pour savoir laquelle on aura au début et poser ses autres pions en conséquence) lors du premier tour sera essentiel.

Dernier point : le jeu ne se sortira pas avec tous types de joueurs et ses parties, longues, obligeront à préparer une soirée basée sur ce titre là...

Le conseil de Jedisjeux

Les cartes vous donnant des pouvoirs en plus sont très intéressantes. Mais rappelez-vous qu'elles vous grignotent de l'argent, qui est le moteur de vos possibilités d'actions et le but ultime de la partie.

Il est donc déconseillé de prendre trop de ces cartes en début de partie, au risque de ne plus avoir d'argent pour les dépenses qui vont en découler ou pour les ressources qu'il faudra bien acheter.

Si vous jouez plus sur une stratégie "jetons", il semble intéressant de prendre les quelques cartes donnant un peu d'argent. Certaines cartes permettent aussi d'avoir des cartes modèle puis d'en défausser contre de l'argent : elles vous aideront et enlèveront un des avantages de ceux axant leur stratégie sur les défilés (avoir plein de cartes modèle).

Bien entendu, n'oubliez pas de conserver de l'argent pour les frais de fin de tour et ceux des tours de décomptes. N'attendez pas trop pour acheter des ressources, car on peut vous en bloquer l'accès (ou du moins, celui du lieu que vous souhaitiez) si vous avez voulu privilégier de prendre d'abord des cartes...

Avis de la rédaction

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Prêt-à-porter est un très bon jeu, qui demandera tout de même d'être joué par des joueurs expérimentés. On ressent bien la bataille qui se fait dans différents domaines et l'impossibilité d'être présent dans tous. C'est tendu, calculateur, mais jamais trop. Un peu froid, j'ai pour ma part une préférence pour des titres que je trouve plus légers et au plaisir plus immédiat. Mais celui-ci a une durée de vie qui pourrait être excellente, eu égard des cartes qui permettent de bien renouveler les parties. Il devrait facilement trouver son public.
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Il y a 3 commentaires

jedisjeux
By boudje | 18 oct. 2011 à 08:19

Un avis sur les différences au niveau du nombre de joueurs?

Durée plus accessible, fluidité, tension?

jedisjeux
By limp | 18 oct. 2011 à 08:57

Je n'ai pas essayé le jeu à deux, mais je le pense moins intéressant pour ce qui est du combat pour les majorités.

De plus, à deux et trois joueurs, le nombre d'emplacements disponibles reste le même : il doit y avoir plus de tensions à trois.

La seule différence à quatre joueurs, c'est le nombre d'emplacements disponibles.

Forcément, puisqu'il s'agit de pose d'ouvriers, la durée s'allonge un peu avec le nombre de joueurs, tout comme le temps pris pour savoir qui est majoritaire dans chaque secteur lors des décomptes (pas de tableau avec marqueurs : on dénombre chacun ce qu'on possède -bon, en même temps ce sont de faibles quantités, et visibles par tous, mais ça ne doit pas beaucoup changer, selon moi (je n'ai fait que trois parties, à quatre, dont une en me trompant sur certaines règles. C'est du fait de ce faible nombre de parties que je ne peux pas apporter de grandes précisions ou assurer que cet avis est définitif (même si je pense qu'il ne changera pas)

jedisjeux
By kevetoile | 18 oct. 2011 à 10:31

C'est plutôt lourd dans tous les cas, mais les mécanismes sont sympas.