EL GRANDE… oui, un nom que l’on a envie d’écrire avec des lettres majuscules. Voilà une réédition tout à fait légitime et qui était très attendue, tant ce jeu reste à mon avis la référence absolue et incontournable du jeu de majorité. Monsieur Wolfgang Kramer et monsieur Richard Ulrich ont créé avec El Grande un « idéal-type » du genre, récompensé en 1996 du Spiel des Jahres et du Deutcher Spiele Preis (excusez du peu...!). Avec l'arrivée de la "Big-box" sur nos étals, l'envie m'a pris de présenter ce jeu à ceux ne le connaîtraient pas, et le faire redécouvrir à ceux qui l'auraient un peu oublié. Un invité spécial a tenu aussi à vous en parler...

Le plaisir simple de la Majorité

Encore aujourd'hui, certains acteurs du monde ludique se demandent pourquoi il a fallu attendre si longtemps pour voir apparaître un très bon jeu basé sur le principe simple et pur de la majorité. Certes, El Grande a 20 ans, ce qui peut paraître beaucoup pour un jeu de plateau ; toutefois, depuis l'invention du jeu dont personne n'ose prononcer ou écrire le nom (sauf moi : le Monopoly), on peut s'étonner que la pureté du mécanisme majoritaire utilisé par les auteurs d'El Grande fassent seulement son apparition en 1996, après quand même quelques décennies plus ou moins actives (mais plus confidentielles que maintenant) de créations de jeux. En cherchant bien, on peut vraisemblablement trouver des ascendants à El Grande, mais j'aime croire que nous avons là une œuvre originale, un jeu pivot pour toute personne désirant jouer aux créations ludiques contemporaines. Et puis c'est peut-être à cela que l'on reconnait un jeu génial : il s'impose aux joueurs comme une évidence, et on se demande ensuite pourquoi on n'y avait pas pensé plus tôt. A propos des auteurs, je tiens à vous rappeler au passage que Wolfgang Kramer et Richard Ulrich sont également co-auteurs de « Die Händler » (Queen Games, 1999), devenu « Marchands du moyen-âge » (Filosofia 2010) et Die Fürsten von Florence (Alea, 2000), édité en version française en 2007 sous le titre de « Les princes de Florence ». De bien belles créations par un duo très inspiré, ne trouvez-vous pas ?

Une big box signée Filosofia

J'étais déjà l'heureux possesseur d'une boite d'El Grande édité par le regretté éditeur Descartes (Attention, Mode polémique "On" : "Vous savez ? Descartes… cet éditeur racheté par l'omnipotent Asmodée pour les boutiques et dont le catalogue fut réduit en purée car jugé sans doute trop ringard"... Mode polémique "Off" ), mais je n'avais jamais mis la main sur les nombreuses extensions, toutes dans la langue de Kant, ce qui me frustrait un brin…

Seulement voilà, venu tout droit du Quebec, cette "Belle Province" pas aussi libre que le souhaitait un certain général (mais ça viendra un jour…), voici Filosofia, un éditeur important depuis maintenant quelques années. Et chez Filosofia, on sait ce qui est bon, on sait ce qui est bien, on sait quels sont les jeux du passé qu'il est nécessaire de remettre sur les étals, même si cela prend parfois plus de temps que prévu (je ne vais pas revenir sur l'histoire chaotique du "Décennial"). De plus, L'idée de faire des « Big Box » avec moult extensions plus ou moins disparues est une très bonne initiative, expérimentée notamment avec Carcassonne et plus récemment avec Alhambra. D'abord, cela permet d'acquérir un jeu parfois devenu difficile à trouver comme dans le cas de El Grande. Ensuite, on a le plaisir de mettre la main sur un jeu avec toutes ses extensions qui étaient sorties autrefois séparément, ce qui donne une belle grosse boîte que l'on peut (s')offrir pour Noël !

D'ailleurs si j'écris ce petit article maintenant sur El Grande, c'est aussi pour vous inciter à penser à vos amis qui ne connaissent pas encore très bien notre monde de "platéistes" et qui cherchent un jeu nouveau (nouveau pour eux je veux dire), aux règles pas trop compliquées mais pas simplistes non plus, un jeu qui les changera des classiques de supermarchés qu'ils connaissent déjà depuis longtemps, un jeu qu'ils pourront ensuite approfondir avec de nouvelles sensations ludiques grâce au 6 extensions qu'il contient.

Un jeu enrichi et renouvelé par des extensions

Oui, avec toutes les extensions, cela donne une boite vraiment bien remplie : un plateau recto/verso, le fameux Castillo (désormais en carton et que l‘on peut maintenant ranger encore monté dans la boite), le pion-roi (qui n'a pas fini de faire naître des commentaire très "mâles"), 5 disques, une quarantaine de tuiles et marqueurs divers, 189 meeples (qui ont remplacé les simples cubes de l'édition originale) et 359 cartes (!). Il y a de quoi varier les plaisirs hein…

Les extensions vous réservent bien des surprises, et certaines proposent carrément une autre manière de jouer à El Grande. La plus anecdotique est sans doute celle appelée "Extension anniversaire", mais "Roi et Intrigues" , "Edition des joueurs" (avec des cartes proposées par des fans d'El Grande) et "Cartes spéciales" sont du plus grand intérêt. Elles proposent globalement un plus grand contrôle sur le jeu, par exemple en donnant à chaque joueur la possibilité de gérer sa propre main de cartes action.

"Au fait et en résumé, ça consiste à faire quoi El Grande ? "

Dernièrement, j'ai ressorti El Grande à mon club ludique habituel. Dans une partie configuration 5, je me suis retrouvé avec 4 joueurs qui ne connaissaient pas El Grande, ou seulement de nom. Quel plaisir ce fut de leur expliquer les règles du jeu de base, car je vis tout de suite dans leur regard un intérêt grandissant et la hâte d'en découdre. Avant de commencer les explications, j'ai déplié le plateau, au milieu duquel j'ai posé le pion-roi en leur tenant le discours suivant :

"Alors voilà : je vous laisse 3 minutes pour exprimer tout ce que vous inspire ce pion après on n'en parlera plus, et j'espère ainsi que vous serez moins distraits pendant les explications des règles.

Allez-y, lâchez-vous…".

Une fois ce petit intermède passé, j'ai eu droit à des joueurs attentifs qui sont rapidement rentrés dans la parties. Leurs commentaires en cours de jeu ne faisait aucun doute, ils étaient épatés de découvrir progressivement des astuces tactiques insoupçonnées, et appréciaient particulièrement le semi-chaos engendré par l'apparition des cartes action. Il y a certes de l'opportunisme, de grosses fourberies, mais je crois néanmoins que c'est toujours celui qui se montrera le plus fin tacticien (et un peu négociateur aussi) qui finira par l'emporter.

Alors sans m'attarder sur les détails, permettez-moi vous rappeler les principes généraux du jeu de base.

- " Faut faire quoi pour gagner ?"

En ayant plus de points que les autres à la fin du jeu, jeune Caballero. Il y aura 3 décomptes dans toute la partie qui se joue en 9 tours, Donc, il y a un décompte des régions et du Castillo tout les trois tours. Cependant, il peut aussi y avoir des décomptes partiels qui interviendront grâce à certaines cartes action choisies par les joueurs.

- "D'accord, mais, je marque des points de quelle manière ?"

Tu as deux options petit padawan : Soit tu fends le crâne de tes adversaires à coup d'épée et tu gagnes la partie en étant le seul survivant, soit tu te contentes d'essayer de marquer des points dans les provinces grâce à la présence de tes caballeros, de ton Grande, et parfois même du roi. Etre majoritaire assure plein de points, mais être second, voire troisième, ça permet de marquer aussi, et à El Grande comme à d'autres jeux, un peu de point, c'est toujours mieux que pas de point du tout. Tu noteras enthousiaste apprenti que certaines régions rapportent plus de points que d'autres, mais cela peut évoluer avec les deux petits tableaux de marque qui sont parfois ambulants. Mais je vais y revenir plus loin. Je t'invite simplement à bien noter que le pion Grande, plus gros que les autres, ne compte absolument pas pour déterminer les majorités ! Ce sont ses sbires, enfin ses caballeros je veux dire, qui font tout. On peut sans doute en tirer une leçon n'est-ce pas ?

Ordre de tour et choix de la carte action

- "Ok, il faut marquer des points. Et quoi de plus ?"

En début de tour, une première étape consiste pour chaque joueur à sélectionner une carte pouvoir qu'il a en main. Chacun dispose de 13 cartes numérotées de 1 à… 13 (bravo ! Vous connaissez déjà le jeu ?). Le premier joueur en pose une devant lui, face visible, puis le joueur à sa gauche en fait autant, mais il doit poser une carte de valeur différente, et ainsi de suite. Le choix de cette carte n'est pas anodin, car il va déterminer l'ordre de jeu (la plus forte permet de jouer en premier) mais également le nombre de Caballeros que l'on fait venir de la province à la cour. Il est préférable en effet d'avoir des caballeros disponibles pour les envoyer au quatre coins du pays. De plus, jouer dans les premiers permet d'avoir un vrai choix parmi les 5 cartes action présentées aux joueurs à chaque tour. A noter que ce nombre de cartes ne varie pas selon les configurations, et donc à 5 joueurs, le dernier doit prendre la carte qui reste. Ce système change radicalement du traditionnel tour de jeu en sens horaire. Il permet au joueur de choisir sa place dans le tour, non sans avoir sous-pesé ce qu'il doit faire...ou espérer faire. Un moment important, à jouer avec minutie, surtout quand vous découvrirez la puissance de certaines cartes actions et leur impact plus ou moins grand selon le tour de jeu.

Le Roi, El Rey, The King, Der Koenig, le big boss quoi...

La position du roi sur le plateau est importante. En effet, l'action d'envoyer des caballeros dans une région est possible que si cette région est adjacente à la province royale actuelle. En revanche, cette dernière est tabou tant que le roi y réside : rien (ni caballeros, ni Grande, ni tableau de marque) ne peut y entrer ou sortir. Comme il est autoriser de choisir l'ordre des actions (jouer l'action spéciale avant d'envoyer des caballeros ou l'inverse, et dans certains cas on peut déplacer le roi), le jeu offre donc de nombreuses possibilités tactiques et "fourbesques". On comprend vite que le position du roi dans telle ou telle région peut changer la donne selon le tour, juste avant un décompte par exemple. On réalise aussi que le roi peut-être une protection dans une région quand vous en détenez la majorité, ou au contraire un véritable obstacle si vous voulez renverser une majorité dans une région dans laquelle le roi s'obstine à rester.

...Et on compte les points.

Après 3 tours, il y a un décompte général. Ce décompte comprend une phase particulière avec le Castillo : Dans un premier temps, cette tour permet de marquer des points avec les caballeros qu'elle contient. Dans un second temps, chaque joueur va effectuer un choix secret à l'aide du cadran de sélection pour envoyer ses caballeros du Castillo vers une région d'Espagne... juste avant le décompte donc, ce qui fait souvent grincer quelques dents. Ensuite, et bien dans chaque région, celui qui possède le plus de caballeros marque les points indiqués dans la première case, le second marque les point de la seconde case, etc... En cas d'égalité, les joueurs concernés marquent les points du cran en dessous, ce qui décale aussi les points pour les joueurs suivants. Il est donc possible, alors qu'un joueur est second en Galice, qu'il ne marque rien du tout parce que deux joueurs à égalité pour la première place ont pris les points du second rang.

Après 9 tours et 3 décomptes, la partie s'achève. Les écarts de points peuvent être serrés comme assez distendus. J'ai vu des parties ou les joueurs se tenaient en quelques points au derniers décomptes et des parties se terminer par une grosse ratatouille. Le Castillo réserve souvent des surprises. il est donc important d'essayer de mémoriser ce que vous avez vous-même mis dans la tour, mais aussi approximativement le nombre des caballeros de vos adversaires. Bien des majorités en région ont été perdues parfois après la phase du Castillo...

Conclusion : El grande, il te le faut !

Bref, amie lectrice, ami lecteur, si j'avais un seul conseil à te donner, c'est de ne pas te priver de cette belle boite d‘El Grande. Fais des économies, rackette ta famille, demande à des amis de se cotiser, joue de la guitare dans la rue ou encore oblige ton club à faire une acquisition, enfin débrouille toi pour trouver un peu de thune afin d'entrer dans l'univers d'El Grande, un univers de jeu allemand certes (donc le thème n'est quand même pas super présent, il faut bien le dire), mais un monument ludique comme ça, un gamer digne de ce nom ne peut pas l'ignorer. On peut y faire jouer des joueurs aguerris, on peut aussi y initier des novices sans craindre de les abreuver de règles trop complexes. El Grande a inspiré de nombreux auteurs et, dit-on, lancé la mode des jeux de majorité. Des jeux comme San Marco, Louis XIV, China ou plus récemment Dominare doivent un petit quelque chose à El Grande... On en trouve même une trace dans le Stuggle of empire du maestro Wallace. Pour ne pas oublier les collègues du web ludique, vous trouverez ici une belle fiche de présentation du jeu de base : http://jeuxstrategie.free.fr/Elgrande_complet.php

Evidemment, l'incontournable BGG :

https://boardgamegeek.com/boardgame/171 ... de-big-box

Je vous invite aussi à consulter le n° 18 de Plato : "Bien débuter à El grande".

El Grande est pour moi un monument ludique de l'Ecole dite allemande, et il entre dans le cercle très fermés des Catanes, Tigre&Euphrate, Puerto-Rico, Agricola, Tikal, etc… à savoir des jeux qui ont marqué les joueurs et leur époque.