Stéphane Boudin

Bonjour Stéphane, peux-tu nous dire, pour commencer, quel est ton parcours ludique ?

SB : Joueur de jeux de rôle, de figurines, de cartes à collectionner, j’ai, depuis tout jeune, touché un peu à tous les genres.

J’ai fini par me lasser de chacun d’entre eux pour des raisons diverses et me suis tourné ensuite vers le monde du jeu de société, monde qui m’a surpris tout d’abord par la grande maturité de ses joueurs, en comparaison de celle des autres de mes précédents loisirs.

A côté de cela, comme de nombreux joueurs, j’ai eu très vite l’envie de concevoir mes propres projets.

Et que préfères-tu donc dans la création ?

SB : J'ai surtout eu (et ai toujours même si je me soigne) un goût prononcé pour la conception de règles allant parfois jusqu'à passer des jours et des jours à écrire des pages de règles pour un jeu qui, finalement, ne donnait absolument rien une fois le passage difficile des phases de tests.

Quels types de jeux ont le plus facilement tes faveurs ?

SB : Je suis un grand adepte des jeux de guessing et de bluff, dans lesquels il faut essayer de deviner ce que va faire votre ou vos adversaires pour le prendre à son propre piège. C’est le cas par exemple de Shazamm, de Condottiere ou du duo Verrater / Meuterer. Ce type de jeu laisse une très grande liberté d’action aux joueurs tout en étant en apparence très simple, ce qui leur donne une excellente rejouabilité.

J’ai aussi une inclinaison toute particulière pour les jeux de placement offrant de grandes possibilités de renversement de situation en cours de parties avec des effets en cascade. C’est par exemple le cas de Kahuna et de .

Enfin, j’avoue avoir été bluffé par la simplicité et l’élégance des mécanismes de Puerto Rico lors de ma première partie.

Si j’aime bien à petite dose les jeux à transformation de ressources tels Caylus ou Agricola, je n’en suis pas un consommateur boulimique.

Enfin, je suis plutôt réfractaire aux jeux d’enchères et de placement purs dans lesquels il faut souvent tout calculer pour optimiser chacun de ses coups

Peux-tu nous parler de l’origine de Modules War ?

SB : Avant de rentrer dans l’univers du jeu de société à proprement dit, j’ai été bien évidemment touché de plein fouet par la vague Magic the Gathering en 1993 que j’ai abandonné assez vite à l’apparition du stand alone Ice Age, lorsqu’il m’était clairement apparu que Magic allait devenir un gouffre financier.

J’ai essayé la plupart des autres JCC disponibles alors sur le marché, sans, la plupart du temps, retrouver les mêmes sensations.

Je suis donc toujours resté un nostalgique des jeux de cartes de complexité similaire mais pas à collectionner permettant de mettre en place une stratégie particulière et de réaliser des combinaisons d'effets.

Alors même que la percée sur le marché d’un tel concept de jeu de cartes hybride semblait totalement irréaliste depuis plusieurs années, sont apparus successivement en 2007 Race for the Galaxy et en 2008 Dominion, qui reprenaient tous les deux ces caractéristiques avec les succès que l’on connaît.

Cela m’a bien évidemment incité à me remettre au travail et à tâter le terrain en lançant une discussion sur le sujet sur le forum de Tric-Trac en mai 2008, avant même la commercialisation de Dominion (un lien sur le forum TricTrac).

Après plusieurs échecs cuisants dans la création de jeu, je me suis lancé en 2005 dans un projet de jeu mettant en scène des combats de robots polymorphes.

Le jeu portait le nom évocateur de Mekamorph et nécessitait comme matériel un plateau de jeu avec des hexagones représentant le terrain de jeu, des figurines de robots, des panneaux de contrôle représentant chaque robot ainsi que des cartes représentant les équipements de chaque robot.

L’idée était de réaliser un jeu mêlant jeu de cartes et de figurines, où la modularité serait le maître mot. Malheureusement, alors que je voulais au départ un jeu nerveux et rapide, le mélange des genres en faisait un jeu bien trop lourd. Il me fallait donc considérablement l’alléger.

J’ai donc décidé très rapidement d’abandonner l’aspect figurines pour me concentrer sur l’aspect cartes.

Tes inspirations, pour ce jeu, viennent donc de JCC ?

SB : L’inspiration principale de Modules War est un jeu qui était édité par Wizards of the Coast (encore) appelé Hecatomb qui n’aura pas vécu longtemps puisqu’à peine une année après son lancement, il était arrêté.

Chaque joueur y incarnait une entité voulant provoquer la fin du monde en collectant des âmes, au besoin en volant celles de son adversaire.

L'élément intéressant du jeu est que les "créatures", appelés Minions, peuvent être posées les unes sur les autres pour former des Abominations. Le fait de poser un Minion d'un Doom  particulier (l'équivalent d'une couleur à Magic the Gathering) sur un Minion d'un autre Doom peut déclencher parfois un effet particulier.

J'avais là une idée intéressante à exploiter pour mon propre jeu puisque l'Abomination se rapprochait beaucoup dans son fonctionnement du Mekamorph.

Mes autres sources d’inspiration ont bien évidemment été les autres JCC dont Magic the Gathering et Netrunner principalement.

Mais le thème de Modules War n'est pas le même que celui de Mekamorph ?

SB : En effet. Mekamorph s’est développé sur plusieurs mois à partir du concept de combinaisons de robots posés les uns sur les autres.

Le jeu avançant bien, j’avais dans l’idée de le présenter en février 2009 au concours de Boulogne-Billancourt. Il me fallait réaliser un prototype jouable. J’ai donc fait appel à Benjamin, talentueux graphiste et ami pour illustrer les cartes.

Après avoir fait une partie de démonstration avec lui, il a immédiatement attiré mon attention sur le fait qu’en restant sur une thématique d’affrontement de robots, il allait nous être plus difficile de matérialiser correctement les concepts clefs du jeu (puissance des robots, déclenchement des effets …).

Il m’a alors suggéré d’abandonner ce thème pour un thème plus classique de bataille spatiale et de remplacer les robots par des vaisseaux tout en longueur, ce qui faciliterait la continuité graphique entre cartes.

Travaillant sur le jeu depuis plus de trois ans, je n’avais jamais eu dans l’idée de modifier la thématique à laquelle je tenais tout particulièrement. Mais il avait parfaitement raison en ce que le nouveau thème collerait bien mieux au jeu.

J’ai donc tout retravaillé sur cette nouvelle base et fit une croix sur sa participation au concours de Boulogne-Billancourt tout en visant comme objectif d’en présenter une version jouable pour le salon du jeu de société en avril.2009.

Les derniers mois et semaines ont été très difficiles à gérer. J’avais le sentiment de tenir un jeu aux mécanismes intéressants mais il présentait encore beaucoup de bugs.

Le jeu était trop long. Il était possible de produire des situations dégénérées dans certains cas, entraînant des effets de boucle infinie.

J’ai donc décidé de tout remettre à plat et me suis replongé dans la lecture de plusieurs excellents articles rédigés par Christophe Berg sur la conceptualisation et l’analyse d’un jeu (nota : voir

ici ou ).

L’un d’entre eux reprenait d’ailleurs les critères retenus par Wolkang Kramer qui faisait d’un jeu un bon jeu. Ces critères étaient notamment l’originalité, la rejouabilité, la surprise, l’équilibre des chances entre les joueurs, l’absence de « kingmaker effect », des temps d’attente raisonnables, la tension, l’interaction …

Gardant tout cela en tête, j’ai couché sur le papier les caractéristiques essentielles souhaitées pour Modules War : Un jeu composé exclusivement de cartes et de jetons, d'une durée d’au maximum 30 minutes, se jouant en simultané ou presque, pouvant se jouer selon deux modes différents et surtout la possibilité de pouvoir concevoir son propre deck afin d’augmenter la rejouabilité du jeu.

C'est ajouté le fait d'avoir une grande adéquation entre le graphisme du jeu et ses mécanismes, une grande modularité dans les possibilités de combinaisons, ce qui m’a conduit à séparer, en ce qui concerne les modules, les événements déclencheurs des effets aux effets eux-mêmes (contrairement à ce qui se fait dans la plupart des JCC) et à créer les opérations doubles.

J'ai également pensé à l’absence de « kingmaker effect » par le mécanisme de développement: plus un joueur possède de modules en jeu, moins il peut se développer et donc jouer de nouvelles cartes.

Cela permet ainsi à un joueur à la traîne de ne jamais être totalement débordé par son adversaire et de pouvoir revenir à tout moment, le tout sans faire un rééquilibrage sans intérêt.

Le concept de la pile, cher à Magic the Gathering, pour gérer les chronologies d’effets (difficile à appréhender mais beaucoup plus efficace à l’usage que celui des réactions) se retrouve dans mon jeu.

Dernier de mes leitmotivs : l’absence de carte totalement inutile. Chaque carte du jeu doit être intéressante à jouer dans une stratégie donnée.

Passé à la moulinette des critères de Wolkang Kramer, le jeu commençait un peu plus à ressembler à ce que j’avais imaginé au départ.

J’ai donc pressé comme un citron Benjamin pour tenir impérativement les délais afin que le prototype soit imprimé pour la mi-avril.

Je n’ai pour l’instant contacté aucun éditeur, préférant tout d’abord présenter le jeu aux joueurs mêmes.

S’agissant d’un jeu à combinaison d’effets, il pourrait de toute façon nécessiter à mon avis un béta-testing important.

Depuis cette interview, Modules War a été présenté lors de la Protonight précédant le salon du jeu de société et a fait une grosse impression.

Matthieu d'Epenoux a même voulu essayer le jeu, alors qu'il n'est pas du tout dans la gamme habituelle des jeux de chez Cocktail Games.

Il ne pensait même pas que c'était un proto, vu qu'il s'agissait de la version imprimée, livrée à son auteur deux heures plus tôt.

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