Pourquoi tout le monde est nul au Dixit ?

Pourquoi tout le monde est nul au Dixit ?

Si vous êtes un joueur et que vous avez déjà fait plusieurs parties de Dixit, ça vous est forcément arrivé. Ce fameux moment où un joueur énonce un thème et lorsque les cartes sont posées au centre de la table, la carte parfaite représentant le thème ressort largement par rapport aux autres. Où quelqu’un ne peut s’empêcher de s’exclamer « oh non, tu n’as pas fait ça quand même ! ». Ce moment où vous vous demandez si la personne qui a choisi le thème n’a pas bien compris les règles ou si, comme par hasard, une autre a juste eu la chance de posséder la carte parfaite.

Dans le premier cas, après la révélation, vous vous rendez compte que X, bien qu’il semblait avoir pigé les règles, n’en a pas vraiment compris la profondeur.

 

Dans le deuxième cas, après la révélation, vous vous rendez compte que tout ceux qui ont voté pour la carte qui ressort (donnant ainsi un max de points au chanceux qui possède la carte) n’ont pas compris non plus la profondeur des règles.

Dans les deux cas, la finalité est toujours frustrante. C’est un exemple typique qui a forcément du vous arriver et il représente l’extrême de l’amateurisme. Évidemment, tous les tours ne se passent pas de cette façon et certains offrent de belles surprises. Mais pour ma part, la plupart du temps, j’observe que les joueurs autours de moi ne jouent pas de manière très intelligente. Ils n’ont pas l’air de se poser la question « Qu’aurait-il dit s’il avait cette carte en main ? » parmi toutes les questions possibles que l’on peut se poser.

Personnellement, en tant que joueur qui souhaite progresser et qui idolâtre par dessus tout le beau jeu, rarement suis-je sorti d’une partie de Dixit le sourire aux lèvres. Et ce n’est pas une question de gagner. Je ne me considère pas comme un mauvais joueur, loin de là. Je préfère cent fois perdre lors d’une partie haute-en-couleur que gagner une partie inintéressante.

Pour combattre cette frustration et dans l’espoir d’un jour disputer une partie de Dixit avec des joueurs expérimentés, je me suis posé la question suivante : pourquoi tout le monde est nul au Dixit ?

 

I. La stratégie

Qu’est-ce que la stratégie dans un jeu ?

Pour comprendre la stratégie présente dans un jeu, il faut étudier les différents mécanismes dudit jeu. Premièrement, il faut évidemment connaître les règles sur le bout des doigts. Ensuite, il faut disséquer, analyser toutes les petites composantes qui rendent un joueur performant. Dans le langage des geeks, on appelle ça « try hard ».
Il existe pleins de méthodes différentes pour try hard. Observer des joueurs professionnels est souvent le meilleur moyen de comprendre comment ils parviennent à dompter la stratégie et s’améliorer régulièrement.

 

Pour mieux comprendre ce que signifie try hard, prenons différents exemples :

Comme premier exemple, analysons League of Legends, le jeu mondialement connu sur PC.
Il y a un gouffre monumental entre un joueur amateur de LoL et un joueur professionnel. Pour try hard à League of Legends, comme le font les pros, il faut décomposer le gameplay en myriades de petits éléments à maîtriser individuellement puis collectivement.
Par exemple, savoir last-hit, éviter les coups des adversaire, viser ses sorts, connaître le coûts en mana de ses sorts, leurs dégâts, leur temps de récupération, connaître les objets de la boutique, quels objets vont à quels champions, quand engager un teamfight, quand se replier, les risques de se faire gank, etc.
Cette liste est évidemment non-exhaustive, un joueur pro maîtrise entre des centaines et des milliers de micro-éléments de gameplay qui finissent par justifier son niveau. Dans une interview, une des meilleur joueur de LoL du monde appelait ces micro-éléments des « patterns ». J’utiliserai aussi ce termes par simplicité de compréhension.
 

Prenons un autre exemple, celui du poker en ligne.

Le poker en ligne a une part importante de chance. Pour autant, cette part de chance fait partie intégrante de la stratégie du joueur de poker. Un bon joueur de poker suivra une stratégie dont la l’espérance de gain sera supérieure à 50 %, ce qui lui sera rentable à long-terme. De la même manière que pour League of Legends, il devra maîtriser un certain nombre de patterns afin de s’améliorer. Par exemple, quelles mains jouer, dans quelles positions, quelles ranges, quand miser, comment miser, quand se coucher, savoir lire le jeu de l’adversaire, etc.
Un joueur professionnel de poker va intégrer en permanence des patterns pour parfaire son niveau au poker.

 

En guise de troisième exemple, citons les échecs.

Les échecs sont un jeu purement stratégique. Il n’y a pas une once de chance. C’est votre stratégie versus celle de l’adversaire. Pour s’améliorer, il faut évidemment connaître et maîtriser les règles sur le bout des doigts, puis engranger de l’expérience en jouant, en analysant des parties, en maîtrisant tous les petits patterns associés à ce jeu (les pins, les niveaux de menace, les openings, les défense, etc.). Les patterns d’un joueur de haut-niveau, comme pour les exemples précédents, se comptent par milliers.


Vous aurez probablement compris à ce stade là que ce fonctionnement est le même pour n’importe quel domaine, que ce soit la musique, l’écriture, l’artisanat, le sport…
C’est en décomposant un domaine en de multiples patterns et en maîtrisant individuellement le plus grand nombre possible de ces patterns que l’on peut s’améliorer drastiquement. On passe alors de l’amateurisme au niveau confirmé puis, en progressant encore, à un niveau compétitif plus élevé.

Lorsqu’ils débutent dans un domaine, quel qu’il soit, les amateurs partent de zéro pattern et doivent s’attaquer à une gigantesque fresque de patterns qu’ils ne visualisent pas forcément au premier abord. Il est déjà difficile de comprendre la complexité du domaine dans lequel on souhaite s’améliorer et lorsqu’on la saisit, il est aisé de vouloir abandonner face au challenge immense auquel on est confronté. C’est la raison pour laquelle il faut y aller petit à petit, pattern par pattern, au risque de perdre en motivation et d’abandonner.


II. Le Dixit

Le Dixit est un jeu de société. Il n’y a pas de version en ligne et évidemment pas de scène internationale aujourd’hui. Pour la plupart des gens, il est donc relégué à un jeu de type Monopoly, qu’on pourrait considérer à tort comme un jeu « casual ». Beaucoup de joueurs ignorent que les jeux comme le Monopoly ou le Risk sont bien plus complexes que ce qu’ils semblent être à première vue et ont en fait de véritables compétitions et tournois de portée parfois mondiale.
Le Dixit peut-il prétendre être un jeu stratégique complexe et non un jeu casual ?
 

La stratégie au Dixit :

Si vous m’avez lu jusqu’ici, je pense que vous n’avez pas besoin d’un rappel des règles du Dixit. Si c’est toutefois le cas, cliquez ici : Dixit : Règle du jeu (regledujeu.fr)

Il faut prendre quelques éléments en compte pour saisir la complexité du Dixit :

-A tour de rôle, chaque joueur va se retrouver dans la position du « Conteur » pendant laquelle il est l’instigateur de la carte à trouver et du thème associé à cette carte. C’est le rôle qui distribue le plus de points.

-Les points que l’on peut marquer en tant que Conteur ou en tant que joueur non-conteur sont différents.

-On veut marquer le maximum de points à chaque tour, mais aussi donner le moins de points possibles aux autres joueurs.
-On est obligé de voter.

-Le coup parfait du Conteur est de ne se faire trouver que par une seule personne. Il fait un moins bon tour lorsque deux personnes ou plus devinent sa carte ou lorsque personne ne la trouve.
-Le Dixit est une course aux points. On veut être en tête de peloton et éviter que d’autres joueurs le soient.

 

Ainsi, dans une partie à 6 joueurs, en tant que joueur non-conteur, il y aura 6 cartes sur la table, dont la votre. Vous devrez donc trouver la bonne carte (celle du Conteur) parmi 5 possibles. Votre but principal est de vous mettre à la place du Conteur et de voir une connexion entre son thème et une des cinq cartes de la table. Pour cela, vous devrez utiliser votre intuition. Votre deuxième but est de faire passer votre carte pour celle qu’il aurait pu choisir.

En tant que Conteur, votre but est de trouver un lien LE PLUS SUBTIL POSSIBLE entre votre carte et votre thème, mais tout de même existant et pouvant être trouvé potentiellement par l’un des 5 autres joueurs à la table.

Toute la complexité du Dixit se joue sur cette jauge de subtilité entre votre carte et votre thème.

Si vous n’êtes pas assez subtil, c’est-à-dire trop évident, il y a un risque pour que plusieurs joueurs parviennent à la même conclusion et votent pour votre carte. Vous avez été évident, donc bien que vous marquiez tout de même des points pour avoir été trouvé, vous en donnez aussi à au moins deux autres joueurs. Le pire résultat étant de se faire trouver par tous les autres joueurs.

Si vous êtes trop subtil, il y a un risque pour que personne ne trouve votre carte. Vous ne marquerez alors pas de points et donnerez 2 points aux cinq autres joueurs.

 

Au Dixit, la course est rapide. Il faut dépasser 30 points (parvenir au moins à la case 31).

Donner trois points à un autre joueur, c’est beaucoup.

Pour le conteur, bien évidemment, le jeu parfait consiste à ne se faire trouver que par une seule personne. Ainsi, il marque ses trois points tout en en donnant trois à celui qui l’a trouvé. Mais il ne peut pas faire plus de points à son tour et ne peut pas en donner moins à celui qui le trouve.
Contrairement à lui, les cinq autres joueurs ont la possibilité de marquer des points supplémentaires en se faisant passer pour sa carte et en recevant les votes des autres.

Le Conteur doit donc choisir précisément sa jauge de subtilité pour tenter au maximum de s’approcher du résultat qui lui convient le plus (une seule personne le trouve) avec le risque de tendre vers la gauche (personne ne le trouve, il ne marque pas de points et fait avancer le reste de la troupe de deux points, en plus des points éventuels qu’ils vont marquer grâce aux votes) ou vers la droite avec plus ou moins d’intensité (il fait ses trois points, mais donne trois points à au moins un autre joueur, en plus des points éventuels qu’ils vont marquer grâces aux votes).

Il aura intérêt à tendre vers la gauche ou la droite (donc gérer sa subtilité) en fonction de la position respective de ses adversaire sur le plateau de jeu. Par exemple, si des joueurs ont beaucoup d’avance, il préférera tendre vers plus de subtilité, même en risquant de donner deux points à tous les autres joueurs. Car bien qu’il donne dix points répartis entre tous les autres joueurs, cette répartition réduit les chances d’un joueur se détachant du peloton. Cette solution sera moins risquée que tendre vers un thème trop évident car, si le joueur qui a déjà de l’avance fait parti de ceux qui trouvent sa carte, alors ce joueur prendra minimum trois points en plus des éventuels points de vote de sa carte, le rendant potentiellement inarrêtable.

La subtilité du Conteur varie tout au long de la partie en fonction des évolutions de chacune des positions par rapport à la ligne d’arrivée mais aussi en fonction de sa perception de l’intuition de chacun de ses adversaire.

Conclusion de la stratégie : 

Généralement, en début de partie, en tant que conteur, il n’est pas nécessaire d’être trop subtil. On préférera engranger ses trois points pour assurer son tour, tout en risquant de distribuer quelques paniers de trois points à d’autres joueurs qui auront plus de chances de nous dépasser d’entrée de jeu grâce aux votes. C’est normal, le rôle de Conteur est celui qui distribue le plus de point. Le plus important en début de partie est déjà d’avancer et de ne pas laisser les autres prendre trop d’avance.

A mesure que la partie avance, les joueurs vont s’habituer à leurs adversaires, à leurs intuitions et façons de réfléchir. Ils vont ainsi essayer de proposer une carte et un thème dont la subtilité sera adaptée aux intuitions de leurs adversaires.

Puis, lorsque certains joueurs approcheront de la phase finale, les positions respectives de chacun des joueurs sur le plateau et l’ordre des tours de Conteur vont devenir prépondérantes : certains conteurs auront peut-être plus tendance à devenir extrêmement subtils dans l’espoir de donner le moins de points possibles à un joueur en particulier (quitte à ne pas marquer de points pendant leurs tours, mais leur donnant plus de chance de gagner la partie grâce aux prochains tours…).


Remarque :

Lorsqu’on joue autour d’une table, un des plaisirs du jeu Dixit en tant que Conteur est justement d’expliquer à la fin de son tour pour quelles raisons on a fait le choix de cette carte et du thème associé. C’est par cette explication (et en entendant les explications de chaque autre joueur sur leurs choix respectifs, souvent dans un tumulte difficilement gérable) que tous les joueurs appréhendent la subtilité ou l’intuition de leurs adversaires.

On pourrait imaginer une version en ligne compétitive de Dixit dans laquelle aucune explication ne vient ponctuer le résultat. Dans cette version, si un adversaire parvient à deviner votre carte lorsque vous êtes Conteur, vous ne pouvez savoir si son choix s’est fait sur la même référence subtile que vous aviez choisi ou non. Cela pourrait rendre le jeu extrêmement intéressant car vous resteriez dans le flou concernant cet adversaire précis. Vous auriez alors une certaine hésitation lors du choix de votre jauge de subtilité pour votre prochain thème, ne sachant pas si vous pensez de la même manière ou non que lui. Je pense que ça pourrait être très sympa !

Si vous êtes arrivés au bout, bravo à vous ! J’espère que vous me pardonnerez pour la lourdeur de certaines phrases ainsi que pour les fautes d’orthographe. C’est juste mon opinion et vous avez parfaitement le droit d’en avoir une autre. N’hésitez pas à me donner votre avis dans les commentaires, quitte à me détruire :)

Qu’en pensez-vous ? Avez-vous aussi vécu des parties frustrantes avec votre famille et vos amis ? Devrait-on développer une version du Dixit en ligne pour que des inconnus puissent s’affronter ? Si une telle version existait, pourrait-elle devenir compétitive ? Pensez-vous qu’une stratégie différente devrait s’appliquer à ce jeu ?

Un grand big up aux créateurs et aux illustrateurs de Dixit. Passez une excellente journée/soirée !

Asharak

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



 

 


 

 

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Il y a 1 commentaire

Asharak
By cyril83 | 10 déc. 2022 à 12:44

J'ai justement pu rejouer à Dixit (dans sa version Odyssey à 7 joueurs) et je partage beaucoup ton analyse: très complète d'ailleurs.

Pour ce qui est de jouer en ligne à Dixit c'est déjà possible et nous en parlions ici: https://www.jedisjeux.net/article/dixit-jouable-en-ligne

Je trouve ton post très intéressant et très riche. Voudrais tu en faire un article sur le site pour lui donner plus de visibilité?